Lecture en cours

Lectures croisées : février 2024


Lyne DesRuisseaux, Pierre Rivet & Daniel Ducharme | Lectures croisées | 2024-02-03


Daniel Ducharme

J'ai lu trois livres en février, deux romans et un essai. Il s'agit donc un mois de lecture plutôt modeste en quantité. Les romans sont tous deux français alors que l'essai est le fait d'un Israélien qui écrit en anglais.

Da Costa, Mélissa. Tout le bleu du ciel. Carnets Nord, 2019.

Un jeune homme de 26 ans, souffrant d'un Alzheimer précoce, décide de prendre la route afin d'aller mourir loin de ses proches avec, comme unique compagnie, une jeune fille aussi mal en point que lui. Une espèce de road trip de toute beauté qui explique en partie pourquoi cette autrice est la plus lue de France en 2023.

Delecroix, Vincent. Naufrage. Gallimard, 2023

Un roman à partir d'un fait divers : la mort de 29 migrants dans la Manche en 2021. Un roman terrible sur la culpabilité, ou plutôt son absence, dans lequel ce qu'on dit devient plus important que ce qu'on fait. Un roman sur la responsabilité aussi, celle qu'on assume comme celle qu'on nie. À lire si on veut comprendre la tragédie des migrants au 21e siècle. Delecroix n'est pas un inconnu pour moi. En 2007, j'ai lu À la porte, un roman qui m'avait plus au point où j'en ai fait un compte rendu.

Harari, Yuval Noah. Sapiens : Une brève histoire de l'humanité. Albin-Michel, 2015.

Dans un essai assez concis, Harari nous livre une vision globale de l'histoire, des temps préhistoriques à l'ère des technologies. Une vision, dis-je bien, car il ne s'agit pas vraiment d'un livre d'histoire, mais plutôt d'une philosophie de l'histoire qui a d'ailleurs donné lieu à quelques controverses. Mais on ne vend pas un ouvrage à de millions d'exemplaires sans en susciter quelques unes... Les sources de l'auteur sont en très grande majorité anglo-américaines, et ça m'a agacé un peu, sans plus.


Lyne DesRuisseaux

Lemaître, Pierre. Couleurs de l’incendie. Livre de poche, 2018

Deuxième volet de la trilogie Les enfants du désordre. Ce livre m’a été prêté par ma sœur, qui me parle de Pierre Lemaître depuis longtemps. Ce roman se passe en France dans les années 1920-1930. Une jeune et riche héritière d’un père banquier est confrontée à diverses épreuves et aux ambitions de sa garde rapprochée, qui prétend l’aider à gérer la banque… et elle se retrouve ruinée. Elle entreprend une série de vengeances à l’égard de ces personnes. Ça fait penser au Comte de Monte-Criso, d’Alexandre Dumas… et voici que dans la postface, Lemaître explique que ce roman est un hommage à Dumas et qu’il a été construit à partir d'événements qui se sont réellement passés et qui ont fait les manchettes en France. Je me suis bien amusée avec cette lecture, bien différente de ce que je lis habituellement.

Fortier, Dominique. Au péril de la mer. Alto, 2016

Quel beau roman ! Au 15e siècle, un peintre est amené par un ami moine vivre au Mont St-Michel, à la suite de la perte de la femme aimée. En parallèle, le récit de l’auteure, devenue mère, qui cherche le chemin pour se remettre à l’écriture. Elle s’inspire finalement des souvenirs d’une visite au Mont St-Michel lorsqu’elle était enfant pour inventer l’histoire du peintre, rappeler la longue histoire de l’abbaye, véritable dentelle de pierre et de roc, évoquer la vie des moines et le travail des copistes. Le peintre analphabète deviendra copiste dans une des plus importantes bibliothèques d’abbayes d’Europe. Ma visite très récente du Mont Saint-Michel prend maintenant une autre couleur après la lecture de ce roman dont l’écriture est délicate et raffinée. J’offrirai ce roman à ma soeur, qui a visité l’abbaye à quelques reprises. Ce mois-ci, c’est le mois des échanges entre soeurs !


Pierre Rivet

Bégout, Bruce. De la décence ordinaire. Éditions Allia, 2008

Le philosophe français Bruce Bégout aborde l’œuvre de l’écrivain George Orwell en se focalisant sur son concept de « common decency » (traduit ici par décence ordinaire). La common decency serait ce "sens moral inné" qui incite les gens simples à bien agir. Orwell se demande quel rôle politique elle peut jouer. Partisan de l’engagement, il déplore la résignation des gens ordinaires. Sans jamais tomber dans un sentimentalisme à la Dickens, il défend l’idée d’un socialisme utilisant cette décence comme arme politique. Il dénonce, par contraste, l’indécence extraordinaire des intellectuels qui s’affilient au pouvoir et les dérives d’un socialisme coupé du quotidien. S’ensuit une critique de l’évolution technique de la société occidentale et une analyse de la dérive du langage vers une novlangue.

Désérable, François-Henri. L’usure d’un monde. Une traversée de l’Iran. Récit, Gallimard, 2023.

L’écrivain français François-Henri Désérable, revenant sur les pas de l’écrivain suisse Nicolas Bouvier qui a écrit L’usage du monde en 1954, racontant son voyage de Genève à la Khyber Pass et sa traversée de l’Iran, la traverse à son tour, soixante-dix ans plus tard, en pleine effervescence après la mort tragique de la jeune Mahsa Amini. Un portrait passionnant de l’Iran actuel et d’une autre façon de voyager.

Hébert, François. Miniatures indiennes. Leméac, 2019.

Un homme dans la soixantaine, professeur et écrivain, prend l'avion pour l'Inde en compagnie de sa blonde. Durant le voyage, il raconte avec humour et intelligence ce qu'il voit et comprend du monde qui l'entoure. Composé de courts textes, comme une mosaïque, ou une courtepointe, il reprend fil par fil la trame d'une vie composée de trajets entre le Québec et l'Inde, d'une relation avec un étudiant alter ego, d'art, de politique, d'humeurs et d'amour. Complètement déjanté et d’une lecture agréable.

Isnard Bagnis, Corinne. La méditation de pleine conscience. Que sais-je?, 2017.

De temps à autre je ressens le besoin de revenir rafraîchir ce que je sais sur la méditation. Ce livre parle de la méditation de pleine conscience d’un point de vue surtout scientifique sur ses bienfaits. Si je l’ai beaucoup pratiquée à l’époque où mon cancer avait nécessité des traitements de chimiothérapie et de radiothérapie, je me suis beaucoup laissé allez par la suite. C’est drôle qu’on puisse passer ses journées à ne faire presque rien, sans réussir à trouver du temps pour ne rien faire de façon précise !

Livernois, Jonathan. Godin. Lux, 2023.

Biographie très fouillée du poète, journaliste, homme politique et amoureux, Gérald Godin. L’auteur fait une biographie honnête et documentée, sans tomber dans le panégyrique, d’un homme et d’une époque avec ses bons et ses mauvais côtés.

Odell, Jenny. Pour une résistance oisive. Ne rien faire au XXIème siècle. Éditions Dalva, 2019

« Dans un monde où la technologie addictive est conçue pour acheter et vendre notre attention, et où notre valeur est déterminée par notre productivité des données 24h/24 et 7j/7, il peut sembler impossible d’y échapper. Mais dans ce guide inspirant sur l’abandon de l’économie de l’attention, l’artiste et critique Jenny Odell nous montre comment nous pouvons encore reconquérir nos vies. Odell considère notre attention comme la ressource la plus précieuse – et la plus épuisée – dont nous disposons. Et nous devons choisir activement et continuellement la manière dont nous l’utilisons. Nous ne le dépenserons peut-être pas pour des choses que le capitalisme a jugées importantes… mais une fois que nous pourrons commencer à accorder un nouveau type d’attention, écrit-elle, nous pourrons entreprendre des formes d’action politique plus audacieuses, réimaginer le rôle de l’humanité dans l’environnement et parvenir à une compréhension plus significative. de bonheur et de progrès. »

Shah, Sonia. Pandémie. Traquer les épidémies, du choléra aux coronavirus. Écosociété, 2016

J’ai débuté ce livre en 2020, au plus fort de la pandémie et du traumatisme (pour ne pas dire de la paranoïa) qu’elle a causé. Mais le livre, lui, date de 2016. Il est donc paru quatre ans avant la Covid-19, mais en explique les conditions de développement. La journaliste scientifique a fait une recherche exhaustive et très documentée sur l’histoire des pandémies (à partir, particulièrement, des épidémies de choléra) et explique en détails les causes facilitant leurs développements et leurs propagations mondiales. Intéressant...et terrifiant.

Telmissany, May. Ceci n’est pas un paradis. Mémoire d’encrier, 2017 (2009).

« Ceci n'est pas un paradis se situe aux confins du récit de voyage, de la nouvelle et de la chronique journalière intimiste. Les pérégrinations de l'auteure entre le Canada et l'Égypte en passant par la France, lui permettent de découvrir les cultures québécoise et canadienne tout en réfléchissant sur le sens du mouvement, la nécessité d'une réinvention de soi, et les changements sociaux et politiques qui transforment son pays d'origine et qu'elle regarde avec plus de lucidité au fur et à mesure qu'elle s'en éloigne. Ce livre s'inscrit dans les interstices de deux mondes que la logique identitaire semble séparer, mais qu'une conscience nomade tente inlassablement de réunir. Se dessinent dans l'arrière-fond un tableau pittoresque d'ici et d'ailleurs, de soi qui est aussi autre, et d'une Égypte en pleine mutation, dans l'attente du printemps qui ne tardera pas à s'annoncer. »

Van Zuylen, Marina. Éloge des vertus minuscules. Flammarion, 2023

Quatrième de couverutre : « La majeure partie de notre existence se déroule dans un demi-jour discret : actions et pensées qui nous laissent moyennement satisfaits, et que nous gardons souvent pour nous-mêmes. Pourtant, comme dans les fictions que nous aimons, se trouvent des personnages secondaires essentiels, des expériences de la banalité révélatrices, des sentiments ordinaires qui font tout le sel de notre vie intérieure. À un désir de perfection qui nous aveugle et nous égare le plus souvent, Marina van Zuylen oppose la puissance des vertus minuscules, qui nous obligent à poser un regard bienveillant et nuancé sur nos qualités cachées et nos défauts. Relisant Proust, Tchékhov ou Levinas, au fil d’un récit personnel et émouvant, elle nous accompagne sur le chemin que Samuel Beckett avait décrit avec humour : « Essayer encore. Rater encore. Rater mieux. »

L’autrice fait un plaidoyer touchant sur les petites choses de nos vies et le besoin d’abandonner la tyrannie du mérite. Elle nous encourage à lâcher nos angoisses de n'être "pas assez", à penser avec les autres et à (re)trouver la joie d'accomplir les choses pour elles-mêmes.

Et, parallèlement à ces lectures j'en ai poursuivi d'autres, notamment En mémoire de la mémoire de Maria Stepanova (à 290 pages de lues, j'en suis à la moitié), le Journal 1922-1989 de Michel Leiris (je suis rendu en 1933 seulement) et L'Europe et l'histoire des sans-histoire : Un nouveau récit de la colonisation du monde, » de Eric R. Wolf (seulement au troisième chapitre, c'est dense alors j'avance lentement...).

o0o

À l'exception de l'ami Pierre, qui ne cessera de m'impressionner, le mois de février s'est avéré assez habituel sur le plan de la lecture, mais supérieur en nombre à janvier. Deux livres pour Lyne, dont celui de Dominique Fortier, une auteure très appréciée, notamment pour Du bon usage des étoiles que j'ai adoré, trois pour moi, neuf pour Pierre ! Nous verrons bien ce qu'il en sera de mars, mais je me demande bien comment s'y prend l'ami Pierre pour lire neuf bouquins en un mois. À l'ère des distractions numériques, je considère ça comme un exploit...


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