Lectures croisées : septembre 2024
Sylvie Bellemare, Lyne Des Ruisseaux, Pierre Rivet & Daniel Ducharme | Lectures croisées | 2024-10-01
Sylvie Bellemare
Hooper, Emma. Les chants du large / traduit par Carole Hanna. Alto, 2018
Une lecture de Lyne en juillet : je vous réfère à son compte-rendu.
Padura, Leonardo. Passé parfait / traduit par Caroline Lepage. Métaillé, 2001
Ce livre de ce prolifique auteur cubain met en scène l’inspecteur Mario Conde qui doit retrouver le directeur d’une grande entreprise ayant disparu. Les deux hommes ont été à la même école et le passé et le présent se mélangent habilement. Ce premier roman contient quelques longueurs, mais c’est intéressant de connaître la vie cubaine, dans sa grandeur et sa misère. La politique et les conditions de vie des Cubain·e·s sont énoncées et on comprend que la vie n’y est pas toujours facile.
Padura, Leonardo. Vents de Carême / traduit par François Gaudry. Métaillé, 2006
Dans ce deuxième tome, Mario Conde enquête sur la mort d’une jeune institutrice qui enseignait dans le lycée fréquenté par Conde. Retour aux souvenirs de jeunesse. Dans ce romen, la vie privée de l’inspecteur prend beaucoup de place et, encore une fois, des longueurs ponctuent le récit.
Shimazaki, Aki. No-no-yuri. Actes Sud, 2022
Shimazaki, Aki. Niré. Actes Sud, 2023
Shimazaki, Aki. Suzuran / livre audio lu par Élodie Huber. Actes Sud, 2023
Shimazaki, Aki. Urushi. Actes Sud, 2024
J’ai parlé d’un livre de cette pentalogie d’Aki Shimazaki dans mes lectures du mois d’août. Dans les autres livres, nous suivons un enfant ou un petit-enfant du couple. Les événements sont vus d’un autre angle. De courts romans qui se lisent facilement. Pour Suzuran, la seule version disponible dans la bibliothèque numérique est le livre audio. Première expérience assez concluante que je renouvelerais lors d’un long déplacement en train, autobus ou avion. Ça demande de la concentration.
Verboczy, Akos. Rhapsodie québécoise - Itinéraire d'un enfant de la loi 101. Boréal, 2016
L’auteur d’origine hongroise a émigré au Québec, dans les années 1990, avec sa mère et sa sœur. Il avait 11 ans et il se dit enfant de la loi 101. Mélange de réflexion et de tranches de vie, il s’intérerroge sur la place du français dans l’immigration. Publié en 2016, ce texte est encore pertinent en 2024 ! Petit clin d’oeil pour Lyne, il étudie au secondaire dans une école multiethnique de Côte-des-Neiges et il souligne le travail de certains enseignant·e·s pour faire connaître la culture québécoise aux immigrant·e·s, dont une jeune enseignante de français, madame Desruisseaux !!!
Verboczy, Akos. La maison de mon père. Boréal, 2023
Depuis qu’il a immigré au Québec, l’auteur est retourné quelques fois en Hongrie et ce livre relate son dernier séjour. Il en profite pour voir les ancien·e·s ami·e·s, les membres de sa famille, etc. Entre ces rencontres et les souvenirs d’enfance, il parle d’un pays qu’il n’a pas vraiment connu, un pays qui a souffert de la guerre et s’est reconstruit. Un récit remplit de nostalgie et d’un brin d’humour.
Voyer-Léger, Catherine. Nouées. Québec Amérique, 2022
Dans ce récit à forte teneur autobiographique, Catherine Voyer-Léger prend le prétexte de l’adoption d’une enfant de la DPJ pour revenir sur son enfance, sa vie, ses souvenirs. Elle s’intérroge sur les liens d’attachement, la culpabilité, les relations mère-fille. Une lecture percutante et des réflextions justes sur la société québécoise.
Lyne Des Ruisseaux
Manevy, Philippe. La colline qui travaille. Leméac, 2024
Ce très beau récit évoque la vie de la famille de l’auteur sous trois générations, du tournant du 20e siècle jusqu’à aujourd’hui. Il s’agit d’une famille du quartier lyonnais de la Croix-Rousse. Ce quartier est surnommé la « colline qui travaille », en opposition à la « colline qui prie » du cœur de Lyon, où sont sises la basilique de Fourvière et la Cathédrale Saint-Jean. La Croix-Rousse, c’est l’ancien quartier des canuts, ces tisseurs de soie qui travaillaient dans les ateliers aux hauts plafonds typiques du quartier, et qui sont à l’origine des révoltes ouvrières des années 1830-1840. Ce quartier est maintenant gentrifié. L’auteur, établi à Montréal depuis de nombreuses années, évoque ce dont il se souvient des membres de sa famille et ce qu’il a appris sur le quotidien et le parcours de ces gens simples qui ont traversé les bouleversements du 20e siècle. Il partage ses réflexions sur le lien entre la vie de ceux qui nous précèdent et la construction de notre propre identité. Ayant vécu deux mois à Lyon, ce récit m’a aussi touché pour les descriptions de la ville qui fut mon premier contact avec la France.
Daniel Ducharme
Connelly, Michael. Sans l'ombre d'un doute / traduit de l'anglais par Robert Pepin. Calmann-Lévy, 2024
J'ai lu tous les ouvrages de Michael Connelly que je tiens pour le plus grand romancier de type policier de l'histoire américaine. À ma connaissance, il est le seul auteur à décrire en détail le fonctionnement des corps policiers d'une grande ville comme Los Angeles. Sans l'ombre d'un doute met en scène l'avocat Mickey Haller, le demi-frère de Bosch. Tous deux travaillent en duo pour innocenter une latino d'un meurtre qu'elle n'a pas commis. Passionnant.
Devallière, Rémi. L'esprit Loëdic (Commissaire Anconi 1). Quimper, éd. Alain Bargain, 2017
Un roman policier qui rappelle les Maigret de Georges Simenon. Écrit par un médecin à la retraite, ce roman raconte les péripéties du commissaire Anconi, de la police judiciaire de Paris, bien que Marseillais d'origine, sur l'île de Hoëdic au large de la Bretagne. Une intrigue qui puise ses racines dans la Deuxième Guerre mondiale. Divertissant, rafraîchissant et, surtout, moins glauque que les romans policiers scandinaves…
Goudineau, Christian. Le procès de Valérius Asiaticus. Actes Sud, 2011
Un roman qui promettait beaucoup... mais, malheureusement, j'ai dû lâcher avant la fin. Pourquoi ? Les dialogues ne collaient pas. De nombreux romans historiques rencontrent ce problème : le fond est fidèle à l'histoire, mais les dialogues sont contemporains, c'est-à-dire anachroniques. Dommage parce que l'intrigue se situait en plein dans la période romaine qui m'intéresse : celle de l'empereur Claude.
Noiret, Thierry. Ce que nous racontent les trembles. ÉLP éditeur, 2024.
Douze nouvelles autour de Pointe-aux-Trembles. Des textes poétiques qui racontent le fleuve, les longs trajets dans les bus, la toponymie particulière, voire son histoire, et quelques envolées fantastiques à la José Saramago, ce grand écrivain portugais.
Vernes, Henri. Bob Morane 21bis - L'oeil d'émeraude, 1957
En reportage à Hong-Kong, Bob et son ami visitent les innombrables petites îles au large dans un petit bâteau. Ils sont poursuivis par une jonque pirate et se réfugient dans la longue et étroite faille d'une falaise. Et c'est là que la légende de la grotte aux mille yeux trouvent son explication... Ce roman n'est fait qu'une grosse nouvelle qui fera l'objet d'un roman quelques années plus tard dans l'œuvre de Henri Vernes.
Bandes dessinées
Bec, Christophe et Claudio Montalbano. Le sanctuaire des hérétiques. Éditions Soleil, 2020-2021, 2 vol.
Le journaliste Angel Cimarron, quelque part en Transylvanie pour terminer l'écriture d'un ouvrage, intervient dans une étrange histoire : une famille, un château, un crime qui remonte au XIIe siècle, etc.
Berthet-Foerster. L'oeil du chasseur. Anspach, 2021
Un prisonnier s'évade d'une prison floridienne pour se retrouver dans le bayou louisianais. Son rêve de son île est mis à mal par un gardien particulièrement acrimonieux, un gardien d'un parc naturel et des sbires des Mormons. De beaux dessins, une histoire fascinante... mais qui ne finit pas très bien pour le sympathique héros de cette histoire.
Dufaux, Jean et Jérémy. Barracuda. Dargaud, 2010-2016. 6 vol.
Une histoire de pirates comme je les aime. Plusieurs d'entre eux ont un pied à terre à Puerto Blanco, une île des Caraïbes gérée par un code d'honneur. Des membres d'une noble famille d'Espagne, après avoir été capturés par le capitaine Blackdog, des esclavagistes et leurs esclaves, des forbans, d'autres personnes qui préfèrent se faire oublier, etc. Des vengeances, des amours, des intérêts divergents. Et un diamant qui porte la poisse... Une lecture très agréable magnifiquement illustrée
Pierre Rivet
Abdelmoumen, Mélikah. Baldwin, Styron et moi. Mémoire d’encrier, 2022.
Autrice née au Saguenay de père tunisien et de mère québécoise de souche, et ayant vécue douze ans dans la région de Lyon, en France, Mélikah Abdelmoumen nous fait part de ses réflexions sur le racisme par le biais de l’écrivain noir James Baldwin, et de son amitié avec un autre écrivain, le blanc sudiste William Styron. Le texte se promène de l’un à l’autre, avec des arrêts sur la vie de Mélikah Abdelmoumen elle-même. J’ai bien aimé et j’ai trouvé la réflexion intéressante.
Carpentier, Alejo. Concert baroque. Gallimard, c1976, 1986
Très court roman (novella ?) de l’auteur cubain qui raconte le voyage, au 18e siècle, d’un riche Mexicain à Venise, au temps du carnaval. Déguisé en Montezuma, accompagné de son domestique noir, il y fait la rencontre de Vivaldi, Haendel, Scarletti. Ils font de la musique ensemble au couvent des soeurs de la Pieta, puis se rendent pique-niquer sur la tombe de Stravinsky (!). On y croise aussi, à la fin, Louis Amstrong et sa trompette. Léger et amusant.
Han, Byung-Chul. Vita contemplativa ou de l’inactivité. Actes Sud/Questions de société, 2023
Byung-Chul Han est d’origine sud-coréenne où il fit des études en métallurgie avant de décider de changer complètement d’orientation et de déménager en Allemagne pour faire des études en philosophie, en littérature allemande... et en théologie catholique ! Il obtint son doctorat avec une thèse sur Heidegger et se concentre ensuite sur une critique de la société moderne. Dans ce livre, il élabore une apologie de la vie contemplative et de l’inactivité, se basant, entre autre, sur la philosophie d’Heidegger. Pas toujours simple à lire, mais le sujet et l’analyse est d’une grande pertinence. Deux citations pour vous donner une idée : 1) « Dans les rapports de production capitalistes, l’inactivité revient sous forme d’extérieur inclus. Nous lui donnons le nom de loisirs. Comme ils servent à se reposer du travail, ils représentent un élément fonctionnel au sein de la production. Ce qu’on fait disparaître ainsi, c’est le temps libre, lequel ne s’inscrit pas dans l’ordre du travail et de la production. » 2) « Celui qui agit a un but à l’esprit et perd des yeux la totalité. Et la pensée oriente son attention vers un objet. Seules la contemplation et la sensation ont un accès à l’univers, à savoir à l’étant dans le tout (…) C’est dans l’inactivité que l’Être se déploie. »
Nori, Paolo. Ça saigne encore. L’incroyable vie de Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski. Philippe Rey, c2021, 2024
Dans sa jeunesse, Paolo Nori tomba sur un vieux livre sans couverture appartenant à son grand-père. La lecture de ce livre allait changer sa vie. Il s’agissait de Crime et châtiment de Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski. Sa lecture amena l’italien à apprendre le russe et à devenir traducteur et spécialiste de la littérature russe. Ce livre nous parle de la vie de l’auteur russe, mais aussi de Gogol, Pouchkine, et autres auteurs russes, particulièrement du XIXème siècle, mais pas que… Il sera aussi question de Paolo Nori, de Bataille et de Togliatti. Livre très intéressant en ce qu’il nous renseigne sur la littérature russe, mais sans nous emmerder. Bien content de l’avoir lu, mais je ne crois pas que j’irais jusqu’à me taper ces auteurs.
Todd, Emmanuel. La défaite de l’Occident. Gallimard, 2024
Très curieux livre de cet historien, anthropologue, démographe et essayiste français. La défaite de l’Occident, mais face à qui ? La Russie, entre autres, mais aussi le reste du monde non-occidental. L’auteur à une vision de la guerre entre l’Ukraine et la Russie qui nous change un peu de l’opinion (car il est généralement plus question d’opinions que d’analyses sérieuses) que véhiculent les médias occidentaux, c’est-à-dire d’un côté un dictateur fou et sanguinaire qui veut conquérir le monde (si ce n’est pas dit aussi crûment, c’est tout de même où nous mène le discours des médias et des « experts » qui y sont invités), et de l’autre côté un pays démocratique et libéral injustement attaquer par l’ogre russe mais heureusement soutenu par les démocraties libérales d’Europe et d’Amérique, bref le « monde libre ». Emmanuel Todd, lui, décortique les différentes sociétés en causes (Ukraine, Russie, Europe, États-Unis, etc.) à coup de chiffres, de statistiques, et avec des concepts (importance du type de familles entre autres) qui nous changent un peu, même si, parfois, et peut-être même souvent, ils ne nous convainquent pas tout à fait et/ou nous apparaissent nébuleux. On peut être d’accord ou pas avec l’auteur, et parfois un peu des deux, mais il n’en reste pas moins que ce livre est passionnant d’un bout à l’autre et a le mérite de nous décrasser un peu le cerveau.