Lecture en cours

Lectures croisées : décembre 2024


Sylvie Bellemare, Lyne Des Ruisseaux, Pierre Rivet & Daniel Ducharme | Lectures croisées | 2024-12-30


Sylvie Bellemare

Gagnon, Hervé. Jack, Les enquêtes de Joseph Laflamme – tome 1. Libre expression, 2014

Dans les années 1890, Joseph Laflamme, un journaliste en quête de célébrité, tombe sur un filon prometteur, des prostituées sont sauvagement tuées au centre ville de Montréal. Ces crimes s’apparentent à ceux de Jack L’Éventreur, perpétrés en Angleterre quelques années plus tôt. Joseph Laflamme mène l’enquête et va de découvertes en découvertes. Une belle reconstitution de Montréal et un récit enlevant. Le dénouement est imprévisible et bien tourné.

Gagnon, Hervé. Jeremiah, Les enquêtes de Joseph Laflamme – tome 2. Hugo Québec, 2024

Dans ce 2e tome, Jospeh Laflamme mène une enquête sur la mort des noirs à Montréal. Pourquoi s’en prendre à cette communauté ? Est-ce que le Ku Klux Klan a des membres à Montréal ? Un autre bon roman avec les mêmes qualités que le précédent.

Mongeau, Marie-Andrée. Le Magicien de la mer ne fait pas de miracle. ELP éditeur, 2016

Mécanicienne de navire, Marie-Andrée Mongeau nous fait découvrir ce monde que l’on connaît peu. Avec humour, elle décrit cet univers d’hommes dans lequel elle évolue. Une section vocabulaire à la fin de chaque chapitre, ou presque, nous donne des explications sur des termes ou des concepts utilisés dans son récit. Une belle lecture.

Penny, Louise. Le loup gris, Flammarion Québec, 2024

Dans cette enquête d’Armand Gamache, un groupe prépare un acte de sabotage qui fera des milliers de morts. Gamache sent que des personnes haut placées sont impliquées et ne sait pas à qui faire confiance. Heureusement, ses deux précieux collaborateurs sont à ses côtés pour mener l’enquête. Dans ce 19e tome des enquêtes d’Armand Gamache, l’écriture de Louise Penny est toujours aussi efficace.


Lyne Des Ruisseaux

Kundera, Milan. Risibles amours. Gallimard (Bibliothèque de La Pléiade), 2011

J’ai décidé de me replonger dans l’œuvre de Kundera, ayant le tome 1 de son œuvre dans la collection La Pléiade. C’est un réel plaisir physique de lire des ouvrages de cette collection. J’avais bien aimé jadis L’insoutenable légèreté de l’être. Mais voilà que le recueil Risibles amours ne m’a pas emballé, loin de là. Ce recueil de sept nouvelles a été écrit entre 1959 et 1968, dans la Tchécoslovaquie d’avant le Printemps de Prague et correspond au début de l’œuvre de fiction de Kundera. Les thèmes du mensonge, du désir sexuel masculin, de la séduction et des désillusions parcourent toutes les nouvelles. J’ai sauté des pages et terminé ma lecture en me demandant si j’allais continuer cette replongée dans l’œuvre de ce grand écrivain…, malgré ses qualités littéraires. Les rapports hommes-femmes évoqués dans ces nouvelles m’ont particulièrement irrité. L’homme macho, séducteur et parfois sournois, je n’ai pas envie de ça, ni dans mes lectures, ni dans la vie.
Perrault, Pierre. Partismes. L’Hexagone, 2001.
Un beau livre inachevé de ce grand documentariste. Il s’agit d’un récit-essai qu’il a entrepris avec l’objectif de faire un ouvrage sur la traversée des navigateurs de Saint-Malo jusqu’à l’estuaire du Saint-Laurent, dans lequel il se pencherait sur leur rapport à la découverte, à la mer et à la terre, et sur leurs aspirations au-delà de la mission donnée par François 1er. Il se penche particulièrement sur les deux traversées effectuées par Jacques Cartier en 1534 et 1535. D’où le titre du livre, citant les premiers mots de Cartier dans ses « Relations » : « … partismes du habre et port de Sainct-Malo… ». S’adjoint à ce texte, deux autres textes de Perrault, qui complètent bien le premier texte. Un plaisir de lecture.


Daniel Ducharme

Padura, Leonardo. Poussière dans le vent / traduit de l'espagnol par René Solis. Médaillé, 2021

Poussière dans le vent, en référence à la chanson "Dust in the wind" du groupe américain Kansas, est une véritable ode à l'amitié, de ce "Clan" qui s'est formé autour de Clara, la mère de Ramsés et de Marcos, femme de Dario, puis celle de Bernardo, lui-même ex-mari d'Elisa, celle qui se fera appeler Loretta après son exil aux États-Unis. Un roman écrit par un Cubain qui réside toujours à Cuba, et qui nous offre une autre vison de cette île qu'il ne faut surtout pas réduire à un slogan, comme l'écrit l'auteur. Poussière dans le vent est construit à la manière d'une mosaïque dont chacune donne la parole à un personnage, un membre du "Clan", cette confrérie auto-proclamée. Une belle histoire qui se déroule sur près de quarante ans, des années 1980 jusqu'à nos jours. Ce beau roman m'a arraché une larme ou deux, je l'avoue. Après "Leçons", de l'auteur britannique Ian McEwan, voici un autre grand roman, le résumé, non pas d'une vie, mais de plusieurs avec, pour principale valeur, la fraternité.

Pulixi, Piergiorgio. L’île des âmes / traduit par Anatole Pons-Reumaux. Gallmeister, 2022

Il y avait longtemps que je n'avais pas lu un roman policier aussi bien ficelé, un roman avec des personnages denses, en l'occurrence des policières qui n'oublient pas qu'elles sont aussi des femmes, avec des problématiques associées à leur sexe. De ce roman on peut aussi parler d'un ethnopolar, car la culture nuragique, cette civilisation protohistorique qui apparaît en Sardaigne près deux mille ans avant Jésus-Christ, y occupe beaucoup de place. Et cela s'avère utile autant pour documenter les communautés agropastorales des hauts plateaux de l'île que pour tromper le lecteur sur la véracité des fameux crimes rituels sur lesquels Mara Rais et Eva Croce enquêtent... Ce livre est une réussite ; ne vous en privez pas. Sample Markdown

Bandes dessinées

Bollée, L.F. et Maran Hrachyan. Patrick Dewaere : À part ça, la vie est belle. Glénat, 2020.

Une biographie de Patrick Dewaere en bandes dessinés. Plus jeune, je ne me manquais jamais un film quand il était dedans, ce grand acteur mort par suicide avant l'âge de trente-cinq ans. Au moins, il n'aura pas mal vieilli comme Gérard Depardieu, le comparse de ses débuts...


Pierre Rivet

Bélisle, Mathieu. Bienvenue au pays de la vie ordinaire. Leméac/Nomades, c2017, 2023

Lu pour la première fois à sa sortie en 2017, j’ai relu cet essai de Mathieu Bélisle dans sa réédition en format poche. L’auteur entreprend d’analyser la culture québécoise qui, selon lui, n’est pas dominé par l’idéalisme, mais par le prosaïsme, la simplicité, les destins modestes. Par le biais de son histoire, sa sociologie, sa littérature, Mathieu Bélisle nous convie à la description d’un pays de la vie ordinaire. Je ne suis pas d’accord avec toutes les thèses de cet essai, j’émettrais certains bémols, mais dans l’ensemble c’est un livre brillant.

Carpentier, André. Rendez-vous avec la rue. Flâneries en quartiers montréalais. Carnet d’errances géopoétiques. Leméac, 2023.

Après avoir erré dans les ruelles montréalaises dans Ruelles, jours ouvrables, s’être attablé dans les cafés dans Extraits de café, puis avoir pris l’air dans Moments de parcs, André Carpentier termine sa tétralogie de géopoétique en flânant dans les rues de plusieurs quartiers de Montréal dans ce Rendez-vous avec la rue. Observations, anecdotes, impressions, portraits subjectifs de coins de rue, parsèment cet ouvrage, qui doit plus à la poésie du quotidien, à la fulgurance de l’instant qu’à la sociologie urbaine. Le tout dans une langue riche, sinon précieuse par moment. Exemple pris au hasard : « À la sortie d’une rue piétonnière abouchant le boulevard qui divise la ville en ses parties est et ouest, je me trouve un moment face à une jeune femme qui promène sa beauté comme si elle n’y touchait pas. Ce n’est pas qu’elle semble embarrassée par ses traits délicats, mais ça ne la préoccupe pas. Elle est belle voilà tout. » À lire, ainsi que les trois autres ouvrages, si jamais l’envie vous prend de déambuler avec un carnet et un crayon.

Filiu, Jean-Pierre. Comment la Palestine fut perdue et pourquoi Israël n’a pas gagné. Histoire d’un conflit (XIXème - XXIème siècle). Éditions du Seuil, 2024

L’écriture de ce livre s’est terminé en décembre 2023. J’ai lu plusieurs livres, depuis plus d’un an, sur la situation catastrophique qui perdure et s’aggrave de plus en plus dans ce coin de la planète, mais celui-ci atteint un sommet. Érudition, précision, documentation à toute épreuve, il trace le portrait le plus complet du conflit israélo-palestinien depuis le XIXème siècle. Jean-Pierre Filiu, né à Paris, est historien et arabisant, il est professeur en histoire du Moyen-Orient contemporain à Sciences Po (Paris). Il a aussi été professeur invité dans les universités de Columbia (New-York) et de Georgetown (Washington). Depuis 1980, il séjourne régulièrement en Israël et dans les territoires palestiniens. Diplomate de 1988 à 2006, il a été membre de plusieurs cabinets ministériels. Son livre est divisé en deux parties, la première décrivant les trois forces israéliennes, et la secondes les trois faiblesses palestiniennes. Le portrait qu’il dresse, sans être un plaidoyer hic et nunc pour la cause palestienne, est assez peu flatteur pour les gouvernements israéliens successifs, ainsi que les soutiens qu’ils ont eu et ont toujours de la part des gouvernements occidentaux. Bref un must, que beaucoup se complairont à accuser d’antisémitisme. Le hic ? C’est volumineux (378 pages), très dense, très fouillé, et cela vous met la rage au ventre…

Fortier, Dominique. La part de l’océan. Alto, 2024

Pendant quelque temps, en même temps qu’Hermann Melville écrivait son oeuvre majeurr Moby Dick, il échangea une correspondance passionnée avec Nathaniel Hawthorne. On n’a jamais retrouvé, chez Melville, les lettres de Nathaniel Hawthorne, mais, à l’inverse, on a celles que Melville lui adressait. C’est là-dessus que Dominique Fortier érige son livre La part de l’océan, ainsi que sur sa propre relation (réelle ou imaginaire, on ne sait trop) avec un autre écrivain. Toujours d’une écriture sublime et d’une lecture aisée, ce livre m’a tout de même moins intéressé que les autres livres que j’ai lus de cette autrice.

Lamontagne, Marie-André. En Laurentie. Leméac, 2024

Quelque part entre le polar et le roman historique, En Laurentie part d’événements historiques : la fuite au Québec de Français compromis avec l’occupant allemand et le gouvernement vichyste (par exemple l’affaire Bernonville), le trésor polonais dissimulé par le gouvernement Duplessis qui ne voulait pas qu’il soit repris par la Pologne devenue communiste. On nage donc dans des événements et personnages historiques, mêlés à d’autres qui sont pures fictions. Des chapitres courts et enlevés, une histoire qui se tisse tranquillement par petites touches, une ambiance bien rendue, une réussite tant sur le fond que la forme. Un des romans québécois les plus enlevants de l’année.

Levé, Édouard. Autoportrait. Éditions P.O.L, c2005, 2013

Je ne connaissais absolument pas Édouard Levé, et je n’ai aucune idée du chemin suivi pour tomber sur ce livre, sinon mon intérêt pour le concept d’identité (et non celui de l’identitaire) en littérature. Disons qu’un livre qui débute par : « Adolescent, je croyais que La vie mode d’emploi m’aiderait à vivre, et Suicide mode d’emploi à mourir. », quand on sait que l’auteur s’est suicidé deux ans plus tard, soit dix jours après avoir remis son manuscrit intitulé Suicide », qui évoque de manière romancé le suicide d’un ami d’enfance survenu vingt ans auparavant, a éveillé mon intérêt. Pourtant, rien de macabre dans cet autoportrait, même si la mort est souvent évoquée. Rien de sinistre, ni de pathétique dans cette description en 1,600 phrases courtes et lapidaires. Plutôt un exercice de style, tout à fait dans la lignée de Georges Perec. 1 600 phrases, on pourrait aussi dire 1 600 polaroïds, puisque l’auteur était avant tout un photographe. Exemples : « Décrire précisément ma vie me prendrait plus de temps que la vivre. Je ne sais pas sur qui j'ai de l'influence. Je parle à mes objets lorsqu'ils sont tristes. Je ne sais pas pourquoi j'écris. Je suis calme dans les retrouvailles. Je n'ai rien contre le réveillon. Quinze ans est le milieu de ma vie, quelle que soit la date de ma mort. Je crois qu'il y a une vie après la vie, mais pas une mort après la mort. Je ne demande pas si on m'aime. Je ne pourrai dire qu'une fois sans mentir " je meurs ". Le plus beau jour de ma vie est peut-être passé.» Édouard Levé est né le 1er janvier 1965, il aurait eu 60 ans demain…


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