Lecture en cours

Lectures croisées : mars 2025


Sylvie Bellemare, Lyne Des Ruisseaux, Pierre Rivet & Daniel Ducharme | Lectures croisées | 2025-03-31


Sylvie Bellemare

Bérard, Marie-Jeanne. La grande noyée. Tête première, 2024

À quatre ans, Sylvette Luzel rencontre une sirène dans la lande bretonne. Au cours de sa vie, Sylvette étudie les sirènes et devient une spécialiste. À soixante-dix ans, elle trouve une femme nue échouée sur la grève. Croyant reconnaître la sirène qu’elle a vu enfant, elle lui demande de passer trois jours et trois nuits avec elle. Les deux femmes raconteront leur parcours. Entre poésie, légende et récit de vie, ce texte singulier se lit comme une fable.

Christin, Rodolphe. Peut-on encore voyager. Lux, 2025

Cet essai nous amène à réfléchir sur notre façon de voyager et sur notre rapport à la société. Plutôt que d’interdire les voyages, l’auteur nous invite à voyager autrement. Un texte touffu, bien documenté et une lecture exigente.

McFadden, Freida. La femme de ménage voit tout / traduit par Karine Forestier. City, 2024

On retrouve Millie 12 ans après le dernier récit. Elle est mariée, a deux enfants et vient d’acheter une maison à Long Island, une banlieue de New York. Elle travaille comme assistante sociale et mène une vie heureuse auprès de ses enfants et son mari. Les voisines, un peu trop curieuses à son goût, viennent ternir ce bonheur et Millie commence à regretter son choix de vivre dans cette maison. Comme dans les livres précédents, ce qui est raconté par Millie n’est pas tout à fait la véritable histoire et les fils se dénouent dans les derniers chapitres. Cette fois, les enfants sont impliqués et ils ne sont pas tombés loin de l’arbre!!!

Pulixi, Piergiorgio. Le chant des innocents / traduit par Anatole Pons-Reumaux. Gallmeister, 2024

Des ados tuent de sang froid, parent, enseignant, jeune du même âge. Le commissaire Vito Strega, suspendu, aide une collègue dans cette enquête. Une histoire un peu trop semblable à un autre livre du même auteur, Lillusion du mal.

Pulixi, Piergiorgio. La septième lune / traduit par Anatole Pons-Reumaux. Gallmeister, 2024

Une jeune fille est retrouvée morte et la mise en scène autour de son cadavre ressemble à une série de crimes sur laquelle les inspectrices Rais et Croce ont enquêté, voir L’île des âmes. Le but du tueur est-il d’attirer les deux enquêtrices? Avec Strega et un autre collègue, ils se joignent aux policiers locaux pour enquêter sur cette affaire.

Samson, Pierre. L’irréparable. Héliotrope, 2024

Chargé de cours à l’université, Eugène Rolland, la soixantaine, se voit retirer ses cours. Quand il regarde la biographie de la jeune femme qui le remplace, il remarque des anomalies. Il pousse son investigation et trouve ce qu’elle cache. Mais est-ce la réalité ? La première partie de ce roman est lourde, l’écriture ampoulée, le récit lent. Par contre, en deuxième partie, un nouveau souffle donne le goût de lire ce texte jusqu’à la fin.


Lyne Des Ruisseaux

Bouchard, Roxane. Nous étions le sel de la mer. VLB éditeur, 2014

Premier roman qui met en scène le sergent Morales. Il enquête sur l’affaire de la disparition en mer, dans la Baie des Chaleurs, d’une navigatrice aventureuse qui a longtemps « viré le cœur des hommes à l’envers ». Est-ce un meurtre ou une simple disparition ? La fille de la disparue est soupçonnée. Un bon roman, bien que j’ai préféré La mariée de corail

Kempf, Hervé et Juan Mendez. Comment les riches ravagent la planète. Seuil, 2024

Une bande dessinée basée sur le texte éponyme d’Hervé Kempf paru en 2017. Démonstration avec données à l’appui du rôle joué par les multimilliardaires, soutenus par le capitalisme financier, dans la destruction de la planète. Je n’ai pas appris grand chose et les solutions proposées ne sont qu’effleurées. Quand même un livre bien fait qui peut éduquer. J’ai nettement préféré le livre de Dahlia Namian sur le même sujet, La société de provocation : essai sur l’obscénité des riches.

Ólafsdottir, Audur Ava. Le vérité sur la lumière. Zulma, 2020

Un beau roman de cette écrivaine islandaise, qui trace le portrait de Dyja, issue d’une lignée de sages-femmes. Héritière du vieil appartement de sa tante Fifa, elle découvre les manuscrits de cette femme qui recueillait les récits de toutes ces « mères de lumière » que sont les accoucheuses. Roman se déroulant sur quelques jours de noirceur (nous sommes en Islande) avant Noël, et à la veille d’une tempête qui s’annonce historique. Une sorte de vagabondage entre le quotidien de Dyja, et la célébration de la vie et de la nature portée par les textes de sa tante.


Daniel Ducharme

Jordan, Robert. La Roue du temps 2.- La grande quête / traduit de l'anglais par Jean-Claude Mallé. Bragelonne, c1990, 2012

Je n'ai pu m'empêcher de plonger dans le deuxième tome de La Roue du temps. Cette quête, c'est celle de Rand et de ses amis qui doivent retrouver le Cor de Valère, un instrument qui permet de rappeler les héros des légendes et que, s'il tombe en de mauvaises mains, peut changer le sens de la Trame. Cette quête consiste aussi à retrouver la dague qui permettrait à Mat de guérir de son mal. Beaucoup d'actions dans ce roman qui révèle enfin la véritable identifié de Rand : le Dragon réincarné. Franchement, j'étonne d'embarquer là-dedans comme un gamin… mais j'embarque !

Ulrich, François. Fais pas tout foirer, James Becker. Fides, 2023

Une recommandation de Sylvie B. Un photographe publicitaire de San Francisco perd sa mère qui ne l'a jamais aimé. Il se rend en France pour ses obsèques. Dans la bouche de son cadavre, il insère un crayon rouge qu'il prend en photo et qu'il diffuse sur son compte Instagram. Symbole de l'oppression qu'il lui a fait subir sa mère, une institutrice qui l'a élevé à la dure, cette photo lui apportera la célébrité (The Red Pencil). En parallèle, il en apprendra plus sur cette mère qu'il ne connaissait pas, en fait. Des secrets de famille seront révélés au lecteur qui risque de dévorer ce roman d'une seule traite. L'auteur gagne sa vie dans la publicité, et ça se sent. Il a le sens de la formule et du punch. Une lecture que personne ne regrettera.

Weil, Simone. L'Enracinement : Prélude à une déclaration des devoirs envers l'être humain. Gallimard, 1949

Dernier texte de Simone Weil (1909-1943) rédigé avant sa mort et publié en 1949 par Albert Camus dans la collection Espoirs chez Gallimard. Des passages sublimes et d'autres, qui ont un peu vieilli, et qui surprennent le lecteur contemporain peu habitué à l'esprit de sacrifice. Mais ça reste du Simone Weil, une femme qu'il nous est difficile de ne pas aimer.Attention à ne pas confondre avec Simone Veil, la femme politique française...

Bandes dessinées

Beuzelin, Boris. Peter Dillon : L'énigme La Pérouse. Glénat, 2021

L'hisoitre romancée de Peter Dillon, un marin anglais parti en expédition dans les îles du Pacifique à la recherche des restes des explorations de La Pérouse (1741-1788), le célèbre explorateur français. Un récit un peu didactique... mais j'aime les histoires de marins depuis que je suis tout petit, alors...

Gaillard, Sylvie, Franck Woodbridge et Colonel Chabert. Inversion. Bambou Édition (Grand Angle), 2018.

La vie d'un homme bascule après une rupture. Dépressif, solitaire, il carbure aux antidépresseurs et, parfois, il confond sa vie avec une autre vie que la sienne. De beaux dessins, un scénario crédible. Bref, une bonne bédé.


Pierre Rivet

Archambault, Gilles. Les années s’écoulent lentes et légères. Nouvelles. Boréal, 2025

Le dernier (?) livre de Gilles Archambault ne nous amène évidemment pas de grandes surprises, mais on n’en demande pas tant à un auteur maintenant âgé de 91 ans. Comme il semble publié, bon an, mal an, un livre par année, on n’a plutôt l’impression de prendre des nouvelles (admirez le jeu de mots ) d’un vieil oncle solitaire en le lisant. Et les nouvelles, dans les deux sens du termes, sont assez bonnes. On retrouve la même précision des sentiments et des mots pour les traduire, la même concision donnant l’impression que l’auteur, on le comprend, épargne son souffle en se tenant loin de toute folle dépense de détails et de descriptions. Et on reconnaît toujours l’inimitable « voix » de l’auteur, empreinte d’humilité, de délicatesse et d’auto-dérision. Bref, une bonne année pour Archambault.

Archambault, Gilles. Sortir de chez soi, suivi de Une démarche de chat, Le Tricycle et Bud Cole Blues. Boréal, 2025 (2013, 2016, 1974 )

Archambault termine, avec la sortie de ce livre, la reprise, par les éditions Boréal, de ses oeuvres parues originellement dans d’autres maisons d’éditions. Un caprice d’auteur, comme le souligne ironiquement Archambault, qui veut avoir l’intégralité de son « oeuvres » dans la même maison d’édition. Sortir de chez soi est un texte dans lequel l’auteur, reclus chez lui après la mort de sa femme, nous parle de ces premiers pas hors de chez lui, dans son quartier, timide début d’une reprise de vie sans sa compagne. Joli texte de deuil, mais sans pathos, fidèle à l’esprit doux-amer de l’auteur. Une démarche de chat est une lettre (imaginaire) d’un vieil écrivain à une jeune autrice, à propos de la création littéraire. Enfin, Le tricycle et Bud Cole Blues sont deux pièces radiophoniques (n’oublions pas que Gilles Archambault gagnait sa vie comme réalisateur radiophonique à Radio-Canada) que j’avoue avoir lues en diagonales et que j’ai trouvé plutôt quelconque.

Battistella, Dario

. La guerre Russie-Ukraine : Une analyse réaliste. Les Presses de l’Université de Montréal/Politique mondiale, 2024.
Dans la catégorie « ces livres que je vois pas qui aurait le goût de lire à part moi », un livre sur la guerre Russie-Ukraine, mais vue par le biais des théories de relations internationales. Quand on parle, ici, d’analyse réaliste, on n’emploie pas le terme « réaliste » au sens commun (quoique, oui, un peu quand même), mais en faisant référence à une approche des relations internationales mise de l’avant par certains auteurs tels que Raymond Aron, Hans Morgenthau, Kenneth Waltz, John Mearsheimer, etc. Dario Battistella, politicologue italien né au Luxemburg (eh oui, il n’y a pas que des comptes de banque qui naissent là) et enseignant à l’Institut d’études politiques de Bordeaux, est, sans nul doute, un tenant de cette école d’analyse. Bon, ce livre n’est pas une lecture de distraction, il fourmille de références à des auteurs qui me sont tous aussi étrangers les uns que les autres (hormis Raymond Aron), mais il a le mérite d’analyser en profondeur les tenants et aboutissements de ce conflit, loin des divisions manichéennes dont nous abreuvent les médias, sans trop prendre parti, pour en arriver à la conclusion que l’Ukraine va gagner ce conflit parce qu’elle n’a pas les moyens de le perdre (j’avoue ne pas avoir trop compris comment il en arrive à cette conclusion). Détail important, ce livre a été écrit avant l’arrivée au pouvoir de Trump 2.0, ce qui risque de changer complètement la donne.

Chapoutot, Johann. Le Grand Récit : Introduction à l’histoire de notre temps. PUF, 2021

Historien français spécialiste de l’Allemagne, et plus particulièrement de l’époque du nazisme, Chapoutot nous introduit ici à l’histoire de notre temps (en gros le 20e et le début du 21e siècle) par l’entremise de l’histoire culturelle et, surtout, par l’analyse des grands récits ayant façonné cette histoire culturelle. Chaque chapitre analyse l’un ou plusieurs de ces récits: christianisme (et autres religions), marxisme, communisme, socialisme, régimes autoritaires (nazisme, fascisme), etc. Intéressant, car l’auteur est un bon vulgarisateur.

Harvey, David. Chroniques anti-capitalistes. Éditions Zulma/Essais, c2020, 2023

David Harvey, géographe et économiste anglais, aujourd’hui âgé de 89 ans, est un spécialiste de Marx, qui enseigne, depuis 1970, le premier livre du Capital qu’il semble connaître par coeur. Ces chroniques, écrites un peu avant ou pendant la Covid-19, sont un complément à un de ses livres majeurs, Brève histoire du néolibéralisme que je n’ai pas encore lu (mais n’ayez crainte, cela viendra). Les analyses sont excellentes, et l’auteur parvient, ou presque, à nous faire comprendre des notions comme l’accumulation primitive ou initiale du capital, l’accumulation par dépossession, la financiarisation du pouvoir, le taux et masse de plus-value, etc. À partir d’exemples récents issus de la politique et de l’économie internationale, on comprends mieux l’importance de la Chine et le virage autoritaire que l’on constate un peu partout. C’est étonnant de constater à quel point notre vieux barbu allemand de Marx avait presque tout déjà prévu et analysé !

Le Breton, David. Disparaître de soi : Une tentation contemporaine. Métailié/Traversée, 2015

M’étant aperçu, en cours de lecture, que j’avais déjà lu ce livre (j’en serai bientôt à cet âge où je pourrai me contenter de relire toujours le même livre en l’oubliant dès la dernière page tournée), je me suis contenter de relire certains chapitre qui me « parlaient » le plus. Cet envie de « disparaître » de soi peux se présenter sous différentes facettes : envie de ne plus communiquer, de ne plus participer au présent ni se projeter dans le temps, se sentir sans projet ni désir, s’effacer progressivement, le besoin de blancheur, cet état particulier hors des mouvements du lien social où l’on disparaît un temps et dont, paradoxalement, on a besoin pour continuer à vivre. David Le Breton signe là un livre capital pour essayer de comprendre pourquoi tant de gens aujourd'hui se laissent couler, sont pris d'une « passion d'absence » face à notre univers à la recherche de la maîtrise de tout et marqué par une quête effrénée de sensations et d'apparence. Voilà qu'après les signes d'identité, c'est cette volonté d'effacement face à l'obligation de s'individualiser, c'est la recherche d'un degré ad minima de la conscience, un "laisser-tomber" pour échapper à ce qui est devenu trop encombrant, qui montent. La nouveauté est que cet état gagne de plus en plus de gens et qu'il est de plus en plus durable. Cette disparition de soi peut prendre diverses formes, que ce soit la dépression, la prise de risque extrême, l’addiction, ect. Je vous en reparle dans deux ou trois ans, quand j’aurai de nouveau oublier que je l’ai lu, à moins que, d’ici là, j’aurai disparu de moi…

Mension, Jean-Michel. La Tribu : Entretiens avec Gérard Berréby et Francesco Milo, suivi de De lettriste à légionnaire, entretien avec Pierre-Joël Berlé, et de Le scandale de Notre-Dame.Éditions Allia, c1998, 2018

Un peu dans le sens du livre de David Le Breton, La Tribu raconte, par le biais d’entretiens avec Jean-Michel Mension, puis Pierre-Joël Berlé, l’histoire d’un groupe jeunes, issus de la génération née pendant, ou un peu avant, la Seconde Guerre Mondiale. Jeunes français et françaises, tournant autour de l’Internationale Lettriste (ancêtre des Situationnistes) de Guy Debord, et de certains bars ou bistrots. Buvant, fumant du hasch, complètement en marge d’une société qui les abandonne, ces jeunes portent le discours « No Futur » bien avant le courant punk. Une jeunesse révoltée, qui voyait déjà venir la société de consommation, la « société du spectacle », à laquelle ils/elles ne voulaient pas participer. Le livres fourmillent aussi de documents sur l’Internationale lettrisme et de superbes photos.

Raviot, Jean-Robert. Vladimir Poutine et la Russie : Biographie politique d’un monarque au XXIème siècle. Frémeaux & Associés, 2025

Toujours dans la catégorie « ces livres que je vois pas qui aurait le goût de lire à part moi », un livre sur Poutine (et non LA poutine ), écrit par un docteur en science politique, professeur en études russes contemporaines à l’Université de Paris-Nanterre. Pas vraiment une biographie, mais une biographie politique sur la montée de Vladimir Poutine dans l’État russe et ce qu’on peut appeler sa « prise de pouvoir ». Une analyse intéressante des enjeux russe, là encore, loin des poncifs psychologisants dont nous abreuvent nos médias.

Je peux d’ores et déjà donner des previews de mes lectures d’avril. Il sera vraisemblablement question du livre (si j’ai terminé car il est assez volumineux) de John Dos Passos, Milieu de siècle, d’un essai de Arnaud Orain, Le monde confisqué: essai sur le capitalisme de la finitude (XVIème-XXIème siècle), un autre essai historique de Johann Chapoutot, Les irresponsables : Qui a porté Hitler au pouvoir ?, et d’autres surprises !


Revenir en haut de la page