Lecture en cours

Lectures croisées : juillet 2025


Lyne DesRuisseaux, Pierre Rivet & Daniel Ducharme | Lectures croisées | 2025-08-01


Lyne Des Ruisseaux

Fontaine, Naomi. Kuessipan. Mémoire d’encrier, 2017

Un court texte où se mêlent observations, évocations et descriptions de la vie dans une réserve. Des hommes, des femmes innus, la nature, les cicatrices de l’histoire, les traditions, l’identité. Une découverte en douceur d’un monde blessé, mais porteur d’espoir.

Michaels, Anne. Étreintes. Alto, 2024

Un magnifique roman de cette écrivaine ontarienne, traduit par Dominique Fortier. Lauréat du prix Giller 2024. Un roman sur la force de l’amour profond (amoureux et filial) pour ancrer la vie par delà les deuils et les pertes. On y suit, avec des va-et-vient dans le temps et différents lieux, le photographe John et ses descendants, qui tous portent les blessures de la Première Guerre mondiale, John y ayant survécu miraculeusement. Étreindre ceux qu’on aime et nourrir la mémoire de ces étreintes et de l’intimité comme force de vie, et de survie, c’est ce que je retiens de ce très beau texte.

Poulin, Mathieu. La lutte. Les éditions de ta mère, 2019

Mon futur ex-voisin est prof de littérature au cégep et écrivain. Je me suis plongé avec grand plaisir dans ce roman où le personnage principal choisit d’être lutteur professionnel plutôt que professeur d’université. Voilà qu’il accepte, sous la pression d’un collègue, de mettre sur pied un syndicat. Les négociations se font sur le ring où s’opposent des lutteurs pro et anti-syndicat. Un récit très bien mené, avec des personnages attachants. J’ai découvert un univers que je ne connaissais pas, que je vois maintenant d’un autre œil. J’ai eu beaucoup de plaisir à lire ce roman !


Daniel Ducharme

Attali, Jacques. Les chemins de l'essentiel. Fayard, 2019

Un guide pratique pour accéder à la culture universelle à peu de frais. Cet intellectuel s'intéresse à tellement de chose qu'il est parfois difficile à suivre. L'essentiel, donc, ne concerne pas seulement la littérature, mais ausis le cinéma et la musique. Curieux ouvrage, mais la présentation de l'ensemble, dans les trois premiers chapitres, vaut le déplacement. Et je pense que les jeunes francophones de 15 à 21 ans devraient lire ce livre.

Chaboud,Jack. L'ésotérisme pour les nuls. Éditions First, 2015

J'ai pris ce livre "papier" à la bibliothèque du quartier, davantage pour mon amusement que pour mon édification. Curieux de voir un tel ouvrage dans cette collection, plutôt pratique normalement, je l'ai parcouru en diagonale, lisant des passages ici et là. Un tour d'horizon complet à travers le temps du mouvement ésotérique, une pratique présente dans toutes les religions. L'ésotérisme, c'est tout et n'importe quoi. Il faut savoir déceler le sérieux dans ce foutoir, et ce livre en est l'occasion.

Laferrière, Danny. L'énigme du retour. Boréal, 2009

La thématique de ce récit me ravit et résonne en moi de par mon vécu. L'immigration, l'exil, le rapport à la mère, au père, et ce sentiment coupable de l'immigrant qui se perçoit immanquablement comme un planqué, un individu qui a laissé dernière lui un tas de membres de sa famille en situation de précarité au pays. Certes, pour se déculpabiliser, il envoie des mandats. Cela dit, je ne comprends pas le choix de l'écrivain de présenter son récit sous différentes formes : des paragraphes très courts, parsemés d'aphorismes, voire des poèmes (qui ne riment pas, toutefois). Je ne sais pas… J'ai du mal avec cet auteur qui multiplie les phrases "profondes". La profondeur, je préfère qu'elle éclose d'elle-même. Je vis dans le contexte de l'immigration depuis des années, alors je comprends bien le sentiment véhiculé par Laferrière. Mais ça s'arrête là.

Noiret, Thierry. Aujourd'hui c'est déjà la nuit / nouvelles. Ouvrage auto-édité, c2022

Une suite de treize nouvelles avec un prologue et un épilogue. Des textes sombres, vraisemblablement écrits à la fin des années 1990. Tant dans son art poétique que dans son écriture en prose, on ne peut lire Thierry Noiret sans penser à José Saramago (1922-2010), cet écrivain portugais ayant remporté le Prix Nobel de littérature en 1998. Attention, Noiret ne copie pas Saramago, ni par le style ni par le sujet de sa prose. Non, il rappelle l'écrivain portugais surtout en raison de son imagination débordante, une imagination qui s'enflamme à partir d'une simple idée. Toutefois, Aujourd'hui c'est déjà la nuit s'avère une œuvre sombre dans le cursus de Thierry Noiret, tenez-vous le pour dit.

Vernes, Henri. Bob Morane 23 - La fleur du sommeil. Marabout Junior (Gérard & Cie),1957

Dans ce 23e Bob Morane, notre héros se lance dans une aventure internationale pour démanteler un vaste réseau de trafic d'opium. Ce trafic ne vise pas que la vente, mais carrément la domination de l'Occident par l'affaiblissement de ses forces vives. Sous l'égide de l'espion retors, Roman Organetz, ce vieil ennemi de Morane déploie ses activités en Iran et sur la côte d'Arabie. Du Caire en passant par Paris et Londres, Bob Morane, et son ami Bill Ballantine qui le rejoint en Iran, réussiront à déjouer le plan machiavélique, le même que les Anglais ont eux-mêmes appliqué en Chine au début du 20e siècle…Organetz, qui reviendra dans des romans ultérieurs, s'en sortira... mais l'Occident est sauvé. La témérité de notre héros est sans bornes…


Pierre Rivet

Beaudry, Jacques. Annemarie Schwarzenbach. La lutte avec l’ange. Liber, 2014

Jacques Beaudry est un essayiste et un philosophe qui enseigne la littérature à l’Université de Sherbrooke. C’est, on pourrait dire, un spécialiste des « grands suicidés » puisqu’il à travaillé sur Hubert Aquin, Claude Gauvreau, Saint-Denys Garneau, Cesare Pavese, Carlo Michelstaedter… et Annemarie Schwarzenbach. Toutefois, il n’est pas clair que celle-ci se soit suicidée, ou ait été victime d’un accident. Issue d’une riche famille suisse (son père était un magnat de la soie aux opinions d’extrême-droite), elle était ouvertement lesbienne et tout aussi ouvertement contre le fascisme et le nazisme, journaliste, photographe, écrivaine et grande voyageuse. Elle a côtoyée, entre autre, Klauss et Erika Mann, ainsi que l’écrivaine américaine Carson McCuller, qui était très amoureuse d’elle. Sa vie fût riche en voyages et expériences de toutes sortes, même si elle est décédée à 34 ans. Après sa mort, sa mère choisit de détruite une bonne partie de sa correspondance. Ni vraiment biographie, ni essai sur ces écrits, ce petit livre de 84 pages est surtout une prière, ou une lettre, accompagnant Annemarie dans sa lutte avec l’ange. L’écrivain français Roger Martin du Gard l’avait surnommée « ange inconsolable» .

Bouchard, Gérard. Visions du Québec. Somme Toute/Le Devoir, 2025

Ce livre est un recueil de chroniques écrites par l’historien et sociologue Gérard Bouchard (frère de l’autre, mais beaucoup plus sympathique), et publiées dans Le Devoir, entre 2020 et 2024 . Ce portrait, assez pessimiste, du Québec, aborde différents sujets comme l’immigration, la langue française, l’interculturalité. Les textes sont courts, parfois très schématiques, mais toujours intéressants et portés par un esprit très critique. Intéressant car je n’avais pas suivi ces chroniques dans Le Devoir.

Côté, Catherine. Femmes de désordre. VLB éditeur, 2023

Deuxième roman racontant les enquêtes de la journaliste Suzanne Gauthier, de son mari détective privé Léopold Gauthier et de l’ancien collègue et ami de celui-ci, le sergent Marcus O’Reilly. Cette fois l’action nous amène du côté du Red Light de Montréal, en 1948, et du sort des femmes de désordre qui y officient. Un peu plus étoffé que le premier roman, mais encore assez inégal. En prime, on fait la rencontre de Pax Plante, voulant nettoyer Montréal du vice et de la corruption. Ça se laisse lire, mais sans plus.

Duval Alexandre. Obsession: élections! Comment l’électoralisme affaiblit nos démocraties. Somme toute, 2025

L’auteur est journaliste pour Radio-Canada à Québec et il enseigne les sciences politiques au collège Garneau et les communications à l’UQTR, et son livre est passionnant! Si vous vous intéressez à la politique, ou simplement à la chose publique, vous le dévorerez, comme moi, en une ou deux journées. Certe, l’obsession électorale ne date pas d’hier et il peut sembler normal, quand on s’investi en politique, de vouloir gagner. Mais à quel point cette obsession affaiblit-elle nos démocraties ? L’analyse est fouillée, simple, imagée d’exemples pertinents basés sur une expérience de la chose politique. Tout en étant respectueux des gens qui s’investissent en politique, ainsi que du métier de journaliste, l’auteur ne craint pas de blâmer assez également les politiciens, je dirais plus l’institution, les médias et même les citoyens. À lire !!!

Graeber, David et Wengrow, David. Au commencement était… Une nouvelle histoire de l’humanité. Les liens qui libèrent, 2021, 662 p. (en petits caractères) et 66 p. de bibliographie

Ben oui, j’ai enfin terminé ce livre commencé je ne sais plus quand ! Faut dire que j’ai mis les bouchées doubles pour y arriver, mais sans aucun ennui, et sans sauter une seule ligne de ce prodige d’érudition anthropologique et archéologique. L’un des auteurs, l’anthropologue américain David Graeber, est malheureusement décédé, subitement, en 2020 à 59 ans, un an avant la publication de ce livre. J’espère que vous ne vous attendez pas à ce que je vous résume ce livre, j’en serais bien incapable! C’est pourquoi je vous dirige plutôt sur le site de Jeanne Emard pour un résumé détaillé. Ce qui m’a le plus frappé, en le lisant, c’est l’aspect chronologique, où on parle en termes de millénaires et où les siècles semblent être du temps court! Ainsi que le fait que nous sommes loin de tout connaître sur le passé de l’humanité, et qu’il faut de méfier de nos biais cognitifs, préjugés, etc. Alors prêt pour les grandes questions? Comment ont débuté les inégalités, quels sont les origines de l’État? Et si ces questions étaient piégées ?

Mailhot, Pascal et Marie-Michèle Sioui. L’indomptable Mammouth. De l’assurance maladie à Santé Québec, un demi-siècle de réformes en santé. Somme toute/Le Devoir, 2025

Vous voulez en savoir plus sur les réformes en santé au Québec ces cinquante dernières années ? Quels sont les problèmes de « l’indomptable mammouth » et comment y remédier ? Alors ne lisez pas ce livre! Du temps de lecture perdu, à moins que vous soyez intéressé par le fait que le Dr. Couillard a appris à lire en lisant Tintin à 3 ans, que Bernard Landry habitait une maison historique ou que la famille de Gaétan Barrette n’avait pas de médecin quand il était jeune (les temps étaient dur !), etc. Une histoire de politique faite par les politiciens en toute objectivité (ah ah ah). Analyse  C’est quoi ça ? Pascal Mailhot a été nommé chef de poste du Bureau du Québec à Ottawa par le Conseil des ministres en mai 2025, après avoir exercé la fonction de vice-président chez Tact Intelligence-conseil de 2022 à 2025. Il cumule plus de 20 ans d’expérience au sein de l’appareil gouvernemental québécois. Il a occupé différents postes stratégiques, notamment à titre de conseiller dans les cabinets des premiers ministres Lucien Bouchard, Bernard Landry et François Legault. Il a également été membre de l’équipe de transition de 2018 et directeur de la planification stratégique du premier mandat du gouvernement Legault, participant à la définition de plusieurs grandes orientations gouvernementales. Bref, pas question de cracher dans la soupe. Marie-Michèle Sioui est journaliste du Devoir sur la colline parlementaire à Québec. Avez-vous compris que je n’en suggère pas la lecture?

Olsen, Florian.. Un automne noir. Triptyque/Policier, 2020

Un autre roman policier québécois, mais, à mon sens, beaucoup plus original et réussi que ceux de Catherine Côté. Le hic est que l’auteur, Florian Olsen, a publié ce roman en 2020 et que, cinq ans plus tard, il ne semble pas en voie de récidiver. Originaire de l’Acadie, il a complété un baccalauréat en histoire à l’Université de Moncton et un doctorat en science politique à l’Université d’Ottawa, et travaille maintenant à la fonction publique du gouvernement canadien. C’est aussi à l’Université d’Ottawa que travaille le personnage principal du roman qui y enseigne la sociologie et enquête sur une série de meurtres de jeunes femmes qui ont eu lieu dans la vieille ville ouvrière de Hull, il y a plusieurs années, quand elle était étudiante. Ce qui l’intéresse, au départ, ce n’est pas tant les crimes en soi que la panique qui s’est emparée de la ville et qui a favorisé la victoire d’un candidat populiste à la mairie de la ville. Pour lui venir en aide dans son étude, elle contactera le policier qui, à l’époque, avait mené l’enquête, de concert avec une criminologue de Montréal, ainsi que le journaliste vedette qui avait suivi de près les événements. L’intrigue est intéressante, mystérieuse à souhait, avec beaucoup de rebondissements. Les personnages sont bien définis et le va et vient entre l’automne où les crimes eurent lieu et l’hiver, plusieurs années plus tard, où la sociologue se penche sur ceux-ci, est habilement mené. Une réussite selon moi et j’espère que l’auteur trouvera sa carrière de fonctionnaire assez ennuyante pour revenir au roman!


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