Lectures croisées : août 2025
Lyne DesRuisseaux, Pierre Rivet & Daniel Ducharme | Lectures croisées | 2025-09-01
Lyne Des Ruisseaux
Gruda, Agnès. Ça finit quand, toujours ? Boréal, 2025
Un roman qui raconte les destinées de trois générations de Polonais de confession juive, unis par l’amitié depuis les années 1950. Victimes de la recrudescence de l’antisémitisme et d’une vague de répression en 1968, la majorité des personnages quitte le pays et se disperse en Israël, aux États-Unis et à Trois-Rivières. Sous le regard particulier de la génération qui a grandi dans les années 1950, les conséquences de l’exil, la douleur de la perte et le pouvoir des recommencements sont évoqués avec sensibilité. Les parcours de vie contrastés selon les régions du monde où les familles se sont installés sont forts instructifs. Des personnages attachants, une mise en contexte historique pertinente, une écriture sensible, voilà un livre qu’on a du mal à quitter.
Daniel Ducharme
Attali, Jacques. Une brève histoire de l'avenir. Fayard, 2015
Ancien conseiller politique de François Mitterrand, et auteur d'une soixantaine d'essais et de romans, Jacques Attali se passe de présentation. Certains l'aiment, d'autres le détestent. Cette brève histoire de l'avenir, publiée en 2015, nous glace le sang par son réalisme. Certes, tout ouvrage de prospective comporte des faiblesses, mais dans de nombreux cas, Attali a vu juste, et je plains ceux et celles qui vivront au-delà de 2050...
Jordan, Robert. La Roue du temps 6.- Le Seigneur du Chaos / traduit de l'anglais par Jean-Claude Mallé. Bragelonne, c1990, 2012
Dans ce sixième volume, l'auteur plonge le monde au bord du gouffre, dans une histoire aux multiples intrigues où le jeu du pouvoir se complexifie comme jamais. Rand al'Thor, désormais maître de Cairhien et d'Andor, tente de consolider son pouvoir et, pour atténuer les Aie Sedais, désormais divisés en deux clans, il fonde un ordre d'homme capable de canaliser : les Asha'man. Si vous ne connaissez pas cette série fantasy issue d'un cerveau débordant d'imagination, tout ça ne vous dit pas grand chose…
McFadden, Freida. La femme de ménage / traduit de l'anglais par Karine Forestier. City Editions, 2023
Il semble que la traductrice ait joué un rôle non négligeable dans le succès de ce roman de gare élevé au rang de best-seller dans la Francophonie. La confection de la version numérique est à refaire tellement c'est mauvais. Mais le contenu - puisque c'est de ça qu'il s'agit - repose sur une intrigue simple et efficace et ce, dans un style accrocheur tout aussi efficace. Du mystère et des rebondissements en pagaille, mais cette lecture, plutôt anxiogène, m'a découragé… À d'autres.
Rolland, Chloë. C'est ton carnage, Simone. Del Busso Éditeur, 2024
J'ai lu ce roman québécois sous le conseil d'une amie. Il est vrai qu'il est bien écrit et que l'alternance entre les deux personnages féminins, Simone et Béatrice, lui confère un style original. Mais je n'aime pas le milieu de la boxe sur lequel repose l'intrigue de cette histoire violente. Tout le monde est sur le point d'éclater dans ce roman, tellement la violence est contenue, une tension difficile à soutenir parfois. Et moi je ne comprend pas trop pourquoi… et, glauque pour glauque, la géopolitique me suffit.
Turpeinen, Lida. À la recherche du vivant / trad. du finnois par Sébatien Cagnoli. Autrement, 2025
Un ouvrage qui tient autant du roman historique que de l'essai scientifique, sans parler de l'aspect écologique qui prédomine tout au long de l'œuvre. Avez-vous déjà entendu parler de la vache des mers, le seul et unique mammifère marin herbivore ? Elle est aussi connue sous le nom de Rhytine de Steller, du nom de son découvreur, Georg Wilhem Steller (1709-1746). Tout le roman tourne autour de cette vache des mers, un animal immense et gentil qui n'a pas survécu plus de trente ans après sa découverte. Le meilleur roman de l'année 2025, du moins à mon humble avis. Si vous n'êtes pas sensible à l'extinction des espèces, vous le serez sans doute un peu plus après avoir lu ce livre. Un roman génial qui rappelle un peu L'usage des étoiles" de Dominique Fortier.
Pierre Rivet
Baillargeon, Normand. Parlons philosophie. Somme toute, 2024
Entretiens avec Thomas Cathcart, Daniel Klein, Noam Chomsky, Daniel C. Dennett, Edward S. Herman, Martha Nussbaum, Hilary Putnam, William Van Roman Quine, Michael Shermer, Peter Singer, Michael Walzer. Il s’agit d’un livre d’entretiens avec des philosophes, américains pour la plupart, sinon tous, que j’avais sur ma liseuse depuis belle lurette. J’avais lu le premier entretien, mais je ne m’étais pas rendu plus loin avant ce mois-ci. Il est beaucoup question de philosophie du langage, d’éthique, d’ utilitarisme, bref de philosophie typiquement anglo-saxonne. J’avoue que ce n’est pas tellement ma tasse de thé. Je trouve que souvent il s’agit de bla-bla complètement déconnecté de la réalité.
Basile, Massimo et Gianluca Monastra. Un été avec Chet. Galaade Éditions, c2004, 2006
Un autre livre que j’avais débuté il y a longtemps et que j’ai décidé de terminer. Pas qu’il était mauvais, au contraire, mais… pour la même raison que j’ai des signets dans énormément de livres de ma bibliothèque, la volatilité de mes intérêts. Le propos du livre part d’un fait réel, l’arrestation du trompettiste et chanteur de jazz Chet Baker, pour possession et utilisation de drogue, alors qu’il était en Italie pour une série de spectacles en 1960. Un journaliste italien de Florence, spécialiste des faits divers, est mis sur le coup par son rédacteur en chef. Il ne connait rien au jazz, c’est l’été, il fait chaud, et il allait partir en vacances, Donc, ce n’est pas de gaité de coeur qu’il commence son enquête. Mais, tranquillement, il se passionnera pour le cas de Chet Baker. Une occasion de faire une biographie de Chet Baker, quelque part entre la fiction et la réalité, entre l’atmosphère des films en noir et blanc de Vittorio de Sica et ceux d’Hollywood. J’ai adoré.
Chamberland, Paul. Halte à l’avancée de l’inhumain. Mains Libres, 2024
Poète, essayiste, aujourd’hui âgé de 86 ans, Paul Chamberland examine la société actuelle et ses répercussions. Qu’est-ce qui mène à l’ensauvagement, à la violence meurtrière, au capitalisme radicalisé et à la destruction de la planète ? Sous la forme de fragments, écrits ces cinq dernières années, un peu comme le journal d’une catastrophe annoncée, l’auteur questionne ce qui l’entoure, constate les dégâts et tente de voir au loin ce qui se dessine. Avec une prose bien contrôlée, il trace le point de vue d’un observateur, d’un témoin, d’un philosophe, face à l’avancée de l’inhumain. Même si je n’y ai rien appris de nouveau, j’ai bien aimé le condensé rapide que nous donne ce livre d’une humanité à faire.
Everett, Percival. Châtiment. Actes Sud/Actes Noirs, c2021, 2024
Attention ! Ce livre est complètement déjanté ! L’action se situe, du moins on le déduit, lors du premier mandat d’un certain président aux cheveux oranges. Le lieu : Money, petite ville existant réellement dans un coin perdu de l’État du Mississippi. On retrouve le cadavre, très amoché, d’un blanc, un redneck, à côté du cadavre, pas très frais et tout aussi amoché, d’un noir. Ce sont-ils entretués ? Le plus surprenant est que le cadavre du noir disparaît de la morgue… et est retrouvé plus tard à côté d’un autre cadavre, frais et amoché, d’un autre blanc, tout aussi redneck. Comme ça devient franchement bizarre et au-dessus des compétences du shérif local, l’affaire est confié à deux enquêteurs du MBI (Mississippi Board of Investigation), aussi noirs l’un que l’autre, et possédant un humour assez décapant, au pays où il ne fait pas bon de ne pas être blancs… Je ne vous en dit pas plus, mais l’histoire est aussi mystérieuse que complètement tordus, avec des dialogues incisifs. Le tout avec un petit côté historiquement documenté sur l’une des activités favorites du blanc raciste américain : le lynchage de personnes noires. L’auteur est un écrivain et universitaire afro-américain qui écrit de superbes romans avec des styles différents d’une fois à l’autre. À lire !
Laflamme, Steve. Les agneaux de l’Aube. Une enquête de Frédérique Santinelli et Guillaume Volta. Libre Expression, 2023
Premier de trois romans policiers québécois, celui-ci raconte une enquêtes autours d’une série de crimes aussi sanglants qu’étranges dont les coupables semblent appartenir à une secte qui semble influencée par certains textes de littérature ésotérique. Un policier mène l’enquête et demande l’aide d’une enseignante, spécialiste de littérature, ayant elle-même un passé étrange. L’enquête est intéressante, les personnages aussi, toutefois il y a des longueurs qui auraient pu être évitées, et la complexité des crimes est un peu invraisemblables. Ceci dit, cela ne nous ferait pas tiquer si l’histoire se passait en France, au États-Unis ou n’importe où ailleurs qu’au Québec, alors laissons de côté notre mentalité de colonisé et profitons du divertissement. Merci Sylvie pour les trois livres de Steve Laflamme !
Mendelsohn, Daniel. Trois anneaux. Un conte d’exil. Flammarion,2020
« Dans ce récit aux mille tours, Daniel Mendelsohn explore les correspondances mystérieuses entre le hasard qui régit nos existences et l’art des récits que nous en formons. Trois anneaux commence par raconter l’histoire de trois écrivains en exil qui se sont tournés vers les classiques du passé pour créer leurs propres chefs-d’œuvre. Erich Auerbach, le philologue juif qui fuit l’Allemagne nazie pour écrire sa grande étude de la littérature européenne, Mimésis, à Istanbul. François Fénelon, l’évêque du XVIIe siècle, auteur d’une merveilleuse suite de l’Odyssée, Les Aventures de Télémaque, best-seller de son époque, qui lui valut le bannissement. Et l’écrivain allemand W.G. Sebald, qui s’exila en Angleterre, et dont les récits si singuliers explorent les thèmes du déplacement et de la nostalgie. À ce conte d’exils, Daniel Mendelsohn ajoute sa propre voix, entrelaçant l’histoire de la crise qu’il traversa entre l’écriture de la grande fresque mémorielle des Disparus et celle du récit intimiste d’Une Odyssée. L’« art poétique » qui en résulte est un hommage aux mondes grecs et juifs, un trait d’union entre Orient et Occident et une ode à la littérature française. » (Source: Flammarion) J’ai bien aimé ce livre qui fait réaliser l’importance de l’oeuvre d’hombre dans l’imaginaire occidental.
Vila-Matas, Enrique. Bartleby et compagnie. Actes Sud\Babel, c2000, 2022
L’écrivain et essayiste espagnol nous livre ici un (faux) roman qui est plutôt un (vrai) essai. Le personnage, suivant les traces d’un personnage d’une nouvelle d’Hermann Melville, Le scribe Bartleby, veut établir une liste des écrivains qui « préfère ne pas » écrire. Pour ce faire il écrit des textes sur des auteurs de ce qu’il appelle une « littérature du refus », qui sont comme des notes en bas de page (de 1 à 86) des textes qui n’ont pas été écrits. Auteurs qui ont arrêtés subitement d’écrire, ou non jamais publié de leur vivant, ou, même, qui n’ont jamais écrit, de Kafka à Pessoa en passant par Robert Walser et Melville lui-même, et plusieurs auteurs hispanophones que je ne connaissais pas (merci Wikipédia !). Livre qui m’a passionné et beaucoup appris et dont j’ai particulièrement retenu la citation de Jean de La Bruyère en exergue du livre : « La gloire ou le mérite de certains hommes consiste à bien écrire ; pour d’autres, cela consiste à ne pas écrire ».
Yourcenar, Marguerite. Souvenirs pieux. Le labyrinthe du monde I. Gallimard/Folio, c1974,1988
Je croyais lire une autobiographie de Marguerite Yourcenar mais ce n’est pas vraiment le cas. Du moins, pour ce premier tome, ce n’est pas tout à fait ça mais il est tout de même question de sa naissance, pour ensuite reculer afin de faire l’histoire des générations de sa famille, autant du côté paternel que maternelle, et du coin de pays où grandissent leurs racines, le nord de la France et la Belgique. Milieu, évidemment bourgeois sinon avec quelques quartiers de noblesses, car les pauvres, eux, ont rarement une histoire, du moins des documents pour en témoigner. L’écriture est belle, quoique légèrement surannée, un peu tarabiscotée, avec beaucoup de mots et de temps de verbes que l’on ne pratique plus guère. J’avoue que j’ai sauté le dernier chapitre et que j’ai un peu peur que les deux autres tomes (car j’ai acheté les trois) soit de la même eau.