Lectures croisées : septembre 2025
Pierre Rivet & Daniel Ducharme | Lectures croisées | 2025-09-30
Daniel Ducharme
Asselin de Beauville, Jean-Pierre. Le rêve et l'engagement : réalités et illusions d’un étudiant antillais pendant les années 1960. ÉLP éditeur, 2025
Le rêve et l'engagement constitue en quelque sorte la suite de L'odeur douce et sucrée de la farine de coco (ÉLP éditeur, 2023), même s'il peut être lu indépendamment du précédent. Dans cette autofiction, l'auteur raconte ses premières années d’études en France. Pétri de rêves, idéaliste, il flirte avec des idées d’indépendance pour son île natale, la Martinique. Dans l’euphorie de la décolonisation, il s’implique et milite au sein de l’Association générale des étudiants martiniquais, ce qui l'amène en Algérie, en Russie, en Chine et à Cuba. De retour sur son île natale, confronté à « la vérité du terrain », il se résout à mettre en veilleuse ses idéaux de séparation. Un beau récit rédigé dans un style sobre et élégant. Compte tenu de la maison d'édition, je risque toutefois de manquer d'impartialité...
Fourny, Yann. Dans la nuit arctique : La tragédie de l’expédition Ellesmere. Leméac, 2022
C'est Sylvie qui m'a recommandé cette lecture qui s'est révélée passionnante. Il ne s'agit pas d'un roman, mais un essai qui tourne autour d'un journal de bord d'une explorateur qui, entre 1908-1909, a effectué une mission géographique sur l'île d'Ellesmere, la zone habitée la plus septentrionale du monde. Cette île est rattachée au Nunavut aujourd'hui. Le hic, c'est que l'auteur, pilote d'un avion médical dans le Grand Nord, ne peut garantir l'authenticité du récit, même si la datation du carnet ne peut être mise en doute. Dans ce roman, donc, l'auteur nous offre la retranscription de ce journal avec, en amont et en aval, des considérations sur le contexte de l'époque. Et c'est vachement bien...
Jordan, Robert. La Roue du temps 7.- Une couronne d'épées / traduit de l'anglais par Jean-Claude Mallé. Bragelonne, c1990, 2015
Dans ce septième tome de La Roue du Temps, Rand al’Thor, le Dragon Réincarné, se remet de ses blessures après avoir affronté Rahvin. Il cherche désormais à renforcer son autorité sur Illian en livrant une lutte sans merci à Sammael, un Rejeté qui contrôle le royaume de l’Illian. Quant à Mat Cauthon,il joue un rôle clé à Ebou Dar : il vient en aide à Elayne et Nynaeve qui recherchent activiment le Disque de vents, un artefact susceptible de modifier le climat perturbé par le Ténébreux. Quant à Perrin, et sa tumultueuse épouse Faile, il apporte son soutient à Rand pour être ensuite chassé par lui. Il est assez peu présente dans ce volet de la suite romanesque. Cet ouvrage se conclut par la confrontation à Shadar Logoth, la cité maudite, où l’ennemi disparaît dans les ténèbres de Mashadar. Le roman se termine abrubtement, sans que le lecteur soit convaincu de la mort effective de Sammael.
Laflamme, Steve. Les agneaux de l'aube. Libre-Expression, 2023
Commentaire de Pierre R., août 2025 : "Premier de trois romans policiers québécois, celui-ci raconte une enquêtes autours d’une série de crimes aussi sanglants qu’étranges dont les coupables semblent appartenir à une secte qui semble influencée par certains textes de littérature ésotérique. Un policier mène l’enquête et demande l’aide d’une enseignante, spécialiste de littérature, ayant elle-même un passé étrange. L’enquête est intéressante, les personnages aussi, toutefois il y a des longueurs qui auraient pu être évitées, et la complexité des crimes est un peu invraisemblables. Ceci dit, cela ne nous ferait pas tiquer si l’histoire se passait en France, au États-Unis ou n’importe où ailleurs qu’au Québec, alors laissons de côté notre mentalité de colonisé et profitons du divertissement." Je suis pleinement en accord avec cette notice. Sur le plan technique, toutefois, la qualité du ePub est regrettable. Les titres débutent souvent au milieu ou à la fin d'une page. Et ne parlons pas des tirets de césure qui apparaissent un peu partout. Pour un éditeur numérique comme moi, ça fait mal au coeur...
Nothomb, Amélie. Psychopompe. Albin-Michel, 2023
Un très bel ouvrage de la célèbre écrivaine belge. Tout tourne autour de la métaphore de l'oiseau qui, dans plusieurs mythologies, joue le rôle de psychopompe, c'est-à-dire de celui qui est chargé d'accompagner les âmes jusqu'à leur repos ultime. Un roman qui parle beaucoup de la mort, mon sujet de prédilection… mais qui parle beaucoup d'écriture aussi puisque le slogan du livre est : "Écrire c'est voler." Bref, un roman particulier que je trouve très inspirant, qu'on veuille écrire ou non. Et il m'a d'ailleurs inspiré ce billet : Amélie Nothomb et l'écriture.
Nothomb, Amélie. Soif. Albin-Michel, 2019
Un deuxième Amélie Nothomb en septembre... Pourquoi pas ? Celui-ci est un long monologue de Jésus-Christ en personne. Une vision allégorique du personnage. Cet ouvrage n'a pas eu le même écho que Psychopompe, mais il y est aussi beaucoup question de la mort. Contrairement à ce qu'on peut en lire sur le Web, j'estime qu'il s'agit d'un roman léger, tout à fait dans les cordes du style de l'écrivaine. Sa réflexion sur la soif, désire et satisfaction ultimes, vaut le détour.
Pierre Rivet
Bégaudeau François. Boniments. Éditions Amsterdam, 2023
Romancier et essayiste de gauche, l’auteur de Boniments analyse notre société à partir de certains mots ou expressions qui, sans être tout à fait mensongers, camouflent ou dévient la réalité. Toujours avec un certain humour et un grand sens critique, il désosse la société bourgeoise tapie derrière des termes comme Libéralisme, Transclasse, Compétence, Phone, Piéton, etc. Une lecture aisée, instructive et ludique que j’ai bien aimée.
Dupuis-Déri, Francis. Démocratie. Histoire politique d’un mot aux États-Unis et en France. Lux/Humanités, 2013
Fruit de plusieurs années de recherches historiques très fouillées sur le concept de démocratie, particulièrement dans le contexte de l’indépendance américaine et de la révolution française, l’auteur démontre que le terme de « démocrate », associé à la démocratie directe du peuple, fût, au départ, une qualification péjorative associée à chaos, violences, tyrannie, en opposition avec le concept de république. Puis une réhabilitation du terme démocratie eût lieu, mais seulement sous sa forme édulcorée et élitiste de « démocratie représentative » où le « peuple » abdique son pouvoir au profit d’une classe d’élues. Intéressant, très documenté, un peu pointu.
El-Ghadban, Yara, et Rodney Saint-Éloi. Les racistes n’ont jamais vu la mer. Mémoire d’Encrier, 2021
Livre à quatre mains, celles de Yara El-Ghadban, d’origine palestinienne, et celles de Rodney Saint-Éloi, d’origine haïtienne, sur la discrimination, le racisme. Excellent livre sur le vécu de personnes « racisées » dans la société occidentale en général et québécoise en particulier.
Fortier, Mark. Devenir fasciste. Ma thérapie de conversion. Lux, 2025
Sociologue de formation, journaliste et éditeur, Mark Fortier, sous une forme ironique, décortique le fascisme de plus en plus présent dans nos sociétés. N’ayez crainte, la thérapie de conversion échouera et l’auteur n’arrivera pas à devenir fasciste. À la vue de mes quatre premières lectures, ainsi que beaucoup d’autres des mois précédents, vous pourriez être incité à penser que je suis légèrement (?) monomaniaque, et que je m’enferme dans une « chambre d’écho » centrée sur la critique de la société de type « gauchiste ». Rassurez-vous ! Vous avez tout à fait raison de le penser !
Kantcheloff, Dimitri. Vie et mort de Vernon Sullivan. Éditions Finitude, 2023
Roman ou biographie romancé ? Vie et mort d’une personne qui n’a jamais existé, Vernon Sullivan, auteur afro-américain de polars qui firent scandale en France. En fait, le véritable auteur de « J’irai cracher sur vos tombes » et de trois autres romans du même acabit n’était autre que leur supposé traducteur, Boris Vian. Ce livre revient sur ce célèbre canular littéraire et sur la vie et la mort de son auteur, Boris Vian.
Mishani, Dror. Au ras du sol. Journal d’un écrivain en temps de guerre. Gallimard, 2024
Dror Mishani est un écrivain israélien, connu pour ses romans policiers (dont furent tirés certains films et série télévisées). Le 7 octobre 2023, lors des attaques perpétrées par le Hamas, il participait à des journées sur le roman policier en France et il écourta son séjour pour rentrer chez lui à Tel Aviv. Depuis son retour, et pour une période d’un an, il écrivit un journal qui intitula Journal d’un écrivain en temps de guerre. Ce journal est très intéressant, même si j’avoue avoir été un peu mal à l’aise au début. Pour une raison assez simple, on y parle du traumatisme vécu par les Israéliens, du climat de guerre, mais assez peu des Palestiniens, même si Dror Mishani n’est pas un « faucon » et qu’il semble assez sensible aux torts que l’État israélien fait subir au peuple palestinien. C’est tout de même un point de vue sur cette « guerre » qu’il valait la peine d’être lu. J’ai particulièrement retenu une histoire que raconte l’auteur. Ses grands-parents, les parents de son père, Raphaël et Sarah Miserai, venaient de la Syrie et du Liban, et s’étaient installés, avant la création de l’État d’Israël, à Jérusalem pour des raisons économiques. Ils venaient tous les deux de familles modestes, tailleurs et marchands de tissus, qui faisaient la majorité de leur négoce avec la population arabe au sein de laquelle ils vivaient. Un jour, alors qu’il était petit, Dror Mishani demanda, très étonné, à son grand-père, comment cela se faisait que la plupart de ses amis d’enfance ou les clients avec lesquels ses parents commençaient étaient des Arabes. Son grand-père lui a simplement répondu : et nous, tu crois qu’on était quoi ?