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José Saramago : Les intermittences de la mort


Daniel Ducharme | Romans étrangers | 2008, mis à jour le 2012-12-01


« Le lendemain, personne ne mourut ». Ainsi débute Les intermittences de la mort, dernier roman de l’écrivain portugais José Saramago, prix Nobel de la littérature en 1998. Qu’est-ce que cela signifie ? Simplement que la mort, associée à un personnage dans ce récit, décide de cesser ses activités à partir de la nouvelle année et ce, à l’échelle du pays. Quelles en sont les conséquences ? Innombrables, stupéfiantes, terribles… Imaginez, plus personne ne meurt. Ni de vieillesse, ni de maladie, ni d’un accident de la circulation ou des suites d’un acte violent. La vie éternelle à la portée de tous, quoi. Mais la joie euphorique du début cède bientôt la place au chaos, au désespoir, car rien n’est plus contraire à la vie, finalement, que l’absence de la mort. Dans une telle situation, que deviennent les compagnies d’assurance-vie ? les entreprises de pompes funèbres ? Et qu’advient-il des foyers pour personnes âgées en l’absence totale de roulement des bénéficiaires ? de tous ces vieillards « si la mort n’est plus là pour élaguer l’excès de leurs velléités séniles ? » Inutile d’ajouter que l’État en a plein les bras et que l’Église catholique est menacée de disparition… parce que « sans mort il n’y a pas de résurrection, et sans résurrection il n’y pas d’église ».

Pour les malades en phase terminale, la société civile s’organise avec l’aide de la mafia. En effet, une organisation clandestine amène ces malades qui peuvent être euthanasiés simplement en passant de l’autre côté de la frontière, là où les gens continuent de mourir. L’État ferme les yeux, bien sûr, heureux que ce problème soit résolu sans trop de mal. Mais il s’agit d’une goutte d’eau dans l’océan ou, c’est selon, une épine de moins dans le pied éléphantesque d’un grand corps malade. Qu’arrivera-t-il à ce pays dont l’État ne pourra bientôt plus assurer le paiement des pensions à des retraités qui ne mourront plus ? Qu’arrivera-t-il quand la population active ne représentera plus qu’un faible pourcentage de l’ensemble ? Heureusement, la mort revient… et tout rentre dans l’ordre des choses : on nait, on vit, on meurt… et c’est finalement très bien qu’il en soit ainsi.

Sauf que la mort revient en différé, ne laissant aux gens qu’un délai de huit jours « pour mettre leurs affaires en ordre, faire leur testament, payer leurs impôts en retard et prendre congé de leur famille et de leurs amis les plus proches ». C’est honnête de la part de la mort, très honnête même, jusqu’à ce qu’un individu, grain de sable dans l’engrenage du destin, décide de ne pas mourir… et retourne systématiquement les lettres d’avis à madame la mort qui n’y comprend plus rien…

Je n’avais jamais lu un roman de José Saramago jusqu’à ce jour, un auteur réputé « difficile à lire » selon plusieurs personnes qui m’en avaient parlé auparavant. Il est vrai que le style de l’écrivain portugais est déroutant, car aucun signe nous permet de distinguer le dialogue de la narration, si ce n’est une majuscule placée ici et là au milieu – et non au début – d’une phrase. Mais on s’habitue vite à cette singularité stylistique et, une fois dans le bain, on adhère parfaitement à la trame du récit. Ce fut mon cas, du moins, et c’est pourquoi je n’hésite pas un seul instant à vous recommander Les intermittences de la mort, une immense farce métaphysique qui n’ennuiera que les imbéciles qui souhaitent ne jamais mourir…

José Saramago est né en 1928 à Azinhaga au Portugal. Il a publié de nombreux essais, poèmes et romans. Parmi les plus marquants, citons L’année de la mort de Ricardo Reis (Seuil, 1988), L’évangile selon Jésus-Christ (Seuil, 1993) et L’aveuglement (Seul 1995). Il est mort de la leucémie le 10 juin 2010.

José Saramago. Les intermittences de la mort / traduit du portugais par Geneviève Leibrich. Paris, Seuil, 2008.


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