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critiques et résumés d'oeuvres littéraires

John LeCarré : Une amitié absolue


Daniel Ducharme | Romans policiers et d'espionnage | 2014-12-01


Edward Mundy, alias Teddy, est un vieil homme qui vit dans les quartiers d'immigrés de Munich. Dans l'anonymat le plus absolu, il partage son existence avec une jeune serveuse turque (Zara) et son fils Mustafa. Pour gagner sa vie, il est guide touristique dans un château érigé par Louis II de Bavière. Un jour, lors d'une visite, resurgit une image du passé : Sasha. Il partage avec celui-ci une existence vouée aux services secrets, lui pour le Royaume-Uni, l’autre pour l’Allemagne de l’Est. Depuis la chute du mur de Berlin et, par le fait même, de la fin de la Guerre froide, ils ne s’étaient plus revus. Et voilà que l’ancien ami, le compagnon de mai 68, celui avec lequel il a fait les quatre cents coups dans une Allemagne en proie à ses démons, lui propose de reprendre du service dans un projet financé par un obscur personnage. Une offre qui n’est pas sans risque mais que, en raison de cette amitié, il ne peut refuser, même s’il est rongé par le doute.

Je ne peux aller plus loin dans le résumé de cette histoire qui aurait pu tenir en 100 pages. Alors, pourquoi John Le Carré en a-t-il fait un gros bouquin de 400 pages ? C’est justement ici que réside la différence entre un roman d’espionnage de série B et un grand roman. Cette différence qui confère à ce texte une profondeur inégalée dans le genre et qui nous entraîne vers un sommet émotionnel rarement atteint. Dans Une amitié absolue, Ted Mundy n’est pas qu’un espion anglais, c’est un être humain à part entière dont l’histoire nous est racontée en détail : son enfance à Murree, dans la province du Pendjab au Pakistan, son « exil » en Grande-Bretagne, sa jeunesse universitaire à Berlin, son poste peinard d’attaché culturel pour le British Office, son premier mariage avec Kate, une députée travailliste, jusqu’à son entrée dans le contre-espionnage britannique où il a retrouvé son ami Sasha, son colocataire à Berlin devenu agent double officiellement rattaché à la Stasi, police secrète de l’Allemagne de l’Est.

Une amitié absolue est le roman du XXIe siècle, le roman par excellence du désenchantement du monde, le roman qui a fait de nous des cyniques depuis le 11 septembre 2001, des individus qui ne croient plus ni en Dieu ni aux hommes, et qui n’espèrent plus rien du politique, même à des fins stratégiques. Une amitié absolue est un roman bouleversant qui doit être mis sans hésitation entre les mains des hommes et des femmes de ce temps.

John LeCarré. Une amitié absolue / traduit de l’anglais par Mimi et Isabelle Perrin. Seuil, 2004


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