Lectures en cours

Henri Troyat : Tant que la terre durera, tome 1


Daniel Ducharme | Romans historiques | 2022-10-01


Dans ma jeunesse, avant que je commence à m'intéresser à la littérature avec un grand L, je lisais les livres que ma mère ramenait à la maison. Parmi ces bouquins, on trouvait les romans historiques d'un auteur aujourd'hui oublié : Henri Troyat. Cet auteur écrivait des sagas familiales dont plusieurs se déroulaient en Russie avant la Révolution de 1917. Né à Moscou, cet écrivain a fui le pays en feu avec ses parents. Bien qu'il n’eût que six ans au moment de son arrivée en France, il n'a cessé d'écrire des romans sur son pays d'origine, comme Tant que la terre durera (1947), La lumière des justes (1959), Les Héritiers de l'avenir (1968), Le Moscovite (1974) et bien d'autres. Comme Henri Troyat le disait lui-même dans un entretien diffusé sur YouTube, on ne pourrait lui ôter la pelisse française qu'il porte sur lui sans lui arracher le corps, mais un enfant russe sommeille toujours en lui, quoiqu'il fasse. Ça confirme bien ce que j'ai toujours pensé : peu importe la contrée où on passe notre vie, le pays s'avère toujours celui de l'enfance.

À l'âge de quinze ou seize ans, donc, j’ai commencé à lire des romans d'Henri Troyat. J'ai débuté par Les semaines et les moissons, une saga familiale en cinq volumes publiée entre 1953 et 1958. Ça m’a tellement plu que, très rapidement, j’en ai lu plusieurs autres, des sagas russes principalement, avant que j’accède aux grandes œuvres des écrivains classiques comme Dostoïevski et Tolstoï. C’est à Henri Troyat que je dois mon attirance irrépressible pour la littérature et la musique russes. Pourtant, je n’ai jamais mis les pieds dans ce pays, un rêve que j’ai renoncé à concrétiser, comme tant d’autres… mais ce penchant pour la culture russe ne m'a jamais quitté.

Cet été, juste avant les vacances, j'ai rédigé une nouvelle intitulée La dame russe qui s’insérera dans mon prochain recueil à paraître en 2024. Et c'est rédigeant cette micro fiction que mes souvenirs de la lecture d’Henri Troyat ont remonté à la surface de ma mémoire et ce, près de cinquante ans plus tard. Alors, dans un geste spontané, je me suis procuré le premier volume de Tant que la terre durera, une saga qui m’avait échappée à l’époque. Cet ensemble romanesque compte sept volumes. Voici le compte rendu du premier.

Le premier tome de Tant que la terre durera est structuré en quatre parties et son intrigue se déroule entre 1888 et 1896 dans trois villes de Russie : Armavir (aujourd'hui en Arménie), Ekaterinodar (Krasnodar) et Moscou. Trois villes, donc, et trois familles : les Danoff, une famille de marchand de tissus d'Armavir, les Aparoff dont le chef de famille est médecin pour la municipalité d'Ekaterinodar, et les Bourine, un propriétaire terrien. Ces trois familles sont celles des trois personnages principaux : Michel, Tania et Volodia. Comme dans toutes les sagas, on y décrit de grandes amitiés, notamment celle de Michel Danoff, jeune homme qui se liera d'amitié avec Volodia Bourine à l'Académie d'étude commerciale pratique de Moscou. Comme de raison, ces amitiés sont suivies de grandes trahisons, notamment lorsque Michel épouse Tania après que celle-ci ait refusé la main de Volodia. Celui-ci en ressent peine et frustration, un mélange explosif de sentiments qui ne s'atténuera qu'à la toute fin de ce premier volume. Bien entendu, de nombreux personnages secondaires enrichissent la trame principale du récit : Nicolas, le frère aîné de Tania, qui fréquente les milieux révolutionnaires de Moscou, et Lioubov, la soeur de Tania, qui épouse un personnage lubrique du nom de Kisiakoff dont le comportement finit par dégoûter le lecteur du XXIe siècle... Le tout donne une belle histoire qui se lit bien, surtout pendant les vacances.

J'ai eu beaucoup de plaisir à retrouver cet écrivain après tant d'années. Vais-je lire les sept volumes de cette suite romanesque ? Probablement, à petite dose, un volume à la fois, et ce, entrecoupée d'autres lectures. J'ai aimé ce roman, bien entendu, même si j'ai eu du mal à distinguer la morale de l'auteur sur cette Russie impériale d'avant la Révolution de 1917. À Moscou, par exemple, Troyat adopte une position ambiguë sur la cérémonie associée au sacre du tsar Nicolas II qui se termine dans un bain de sang. Il caricature les activistes comme Zagouliaieff, le compagnon de Nicolas Aparoff, tout en dénonçant l'irresponsabilité du tsar dont les 2000 morts ne l'empêchent pas de participer à la réception de l'Ambassade de France le soir même. Par ailleurs, il ne se prononce pas non plus sur la condition lamentable des femmes d'Armavir, condition qui oblige Tania à ne plus sortir seule de la maison pour ne pas nuire à la réputation des Aparoff. Le roman a été écrit en 1947, soit deux ans après la Deuxième Guerre mondiale alors que Joseph Staline était toujours à la tête de l'URSS. Dans le roman historique, la tentation d'entacher le récit d'anachronisme s'avère forte. C'est souvent le cas dans certains romans historiques québécois dont on se lasse rapidement pour cette raison. Toutefois, Henri Troyat semble y échapper. À tout le moins, il fait preuve de prudence, et on ne peut que l'en féliciter.

Conclusion : si vous cherchez une lecture de vacances, n'hésitez pas à (re)lire cet écrivain qui ne mérite certainement pas de tomber dans l'oubli.

Henri Troyat. Tant que la terre durera, tome 1. Paris, c1947


Revenir en haut de la page