François Ulrich : Fais pas tout foirer, James Becker
Daniel Ducharme | Romans québécois | 2025-05-01
James Becker a grandi avec sa mère dans une petite ville de l'est de la France. Institutrice, elle l'a élevé à la dure, lui prodiguant peu d'affection. Jeune adulte, il s'exile à San Francisco où il devient photographe publicitaire, vivant dans le milieu branché de l'élite culturelle de cette ville. Un jour, alors qu'il est sur un shooting, il reçoit un appel d'un notaire qui lui apprend que sa mère est décédée. Il ne l'a pas vue depuis trente ans. Agacé par cette démarche, il se rend néanmoins sur place pour régler les différentes formalités administratives. Devant le corps de cette mère qui ne l'a jamais aimée, il insère un crayon rouge dans sa bouche, dessinant ainsi un sourire figé qu'il prend en photographie pour la diffuser sur son compte Instagram. Vous l'aurez compris, le crayon rouge réfère aux corrections de l'instituteur, celui qui corrige les fautes des élèves, soulignant et annotant en rouge les copies.
Aux yeux de l'auteur, il s'agit d'un symbole d'oppression, voire d'humiliation. Sur Instagram, James Becker signe ses photographies sous le pseudonyme "The Red Pen". Après la désapprobation morale que suscite son geste, ce red pen devient peu à peu la marque de commerce qui relancera sa carrière et, en quelques mois, il deviendra célèbre, les contrats ne cessant d'affluer. Entre temps, la photographie sur Instagram lui permettra d'entrer en communication avec une personne qui a bien connu sa mère. N'ayant aucune idée sur l'identité de son père. James partira de nouveau pour la France, cette fois dans une station balnéaire du sud-ouest, pour en apprendre davantage sur sa mère et sur ses origines. Bien entendu, je ne peux vous résumer ce qu'il advient de tout ça sans dévoiler le punch du roman. Il vous faudra le lire pour le savoir, ce qui n'est pas plus mal…
J'ai lu ce roman sous la recommandation d'une amie. Le fait que je donne la peine d'en faire une note de lecture signifie que je l'ai aimé, que j'ai apprécié le style de l'auteur et la trame narrative du récit. Sinon, je n'en aurai pas parlé du tout. Le roman comporte des chapitres assez longs entrecoupés d'autres, beaucoup plus courts, dans lesquels François Ulrich raconte le passé de la mère de James Becker. Pour le reste, je ne sais pas trop quoi en penser… Le geste de James Becker s'apparente à une profanation de sépulture, à une atteinte à l'intégrité du cadavre. Moralement, c'est inacceptable, et j'avoue que j'ai ressenti un profond malaise en lisant la description de ce geste, une description parfaitement maîtrisée par l'auteur, par ailleurs. Et puis, je juge que la révolte contre l'autorité, celle de l'enseignant comme celle d'un supérieur, date un peu et, à ce titre, le crayon rouge rappelle le t-shirt orange, symbole de la révolte des autochtones du Canada. D'ailleurs, ce n'est peut-être pas une coïncidence que les deux s'attaquent au personnage de l'instituteur, un métier aujourd'hui si dévalorisé que seules les personnes animées d'une bravoure sans faille peuvent encore pratiquer… Je ne dis pas qu'il faille obéir à quiconque sans jugement critique, mais enseigner à trente élèves dans une classe requiert de l'autorité, qu'on le veuille ou non, et ceux qui l'exerce ont droit au respect. Sinon rien ne fonctionne… sauf peut-être pour les dignes représentants de l'élite culturelle qui partagent ces "valeurs" bien planqués au douzième étage de leurs condos.
En dépit de ce qui précède (davantage un moment d'égarement qu'un passage de critique littéraire), François Ulrich réussit à semer une aura mystérieuse autour de la mère du héros, et le lecteur s'y prend… Il veut forcément en apprendre sur cette mère que James Becker ne connaissait pas, en fait. Ainsi, des secrets de famille lui seront révélés, ce qui l'encouragera à dévorer ce roman d'une seule traite. En tout cas, c'est ce que j'ai fait, moi… Au final, Fais pas tout foirer, James Becker est un bon roman que personne ne regrettera d'avoir lu. Allez-y sans risque.
Ulrich, François. Fais pas tout foirer, James Becker. Fides, 2023