Lecture en cours

Lectures croisées : juillet 2024


Sylvie Bellemare, Lyne DesRuisseaux, Pierre Rivet & Daniel Ducharme | Lectures croisées | 2024-08-02


Sylvie Bellemare

Bernié, Jean-Philippe. J’attendrai le temps qu’il faudra. La courte échelle, 2013

Une histoire qui se situe dans le milieu universitaire. Claire Lanriel, une professeure ambitieuse, cherche par tous les moyens d’atteindre ses objectifs. Un jeu de pouvoir avec les hautes instances universitaires et le secteur privé s’installe. Un récit prenant.

Bernié, Jean-Philippe. Un dernier baiser avant de te tuer. Libre expression, 2018

L’été au chalet est ce que Claire préfère. Mais cette année, les conflits entre ses parents et la visite de Margaret, une amie de sa mère qui a un comportement étrange, gâchent son plaisir. Des indices semés tout au long du récit nous amènent vers la tragédie qui clôt cette histoire. On retrouve Claire Lanriel adolescente dans son milieu familial.

Forbes, Éric. Amqui. Héliotrope, 2017

Un auteur de roman policier que je découvre. Un libraire, Étienne Chénier, condamné pour meurtre, sort de prison et orchestre une vengeance sur ceux qui l’ont poussé vers ce crime. Un policier, Denis Leblanc, près de la retraite, alcoolique, dépressif, suit de près cet homme car son chemin est semé de cadavres. Étienne se retrouve à Amqui, la ville dans laquelle il a grandi, et est vite confronté à son passé. Ce roman rocambolesque se rapproche des romans noirs, mais ne manque pas d’humour.

Forbes, Éric. Le fugitif, le flic et Bill Ballantine. Héliotrope, 2024

Étienne Chénier, en fuite, se retrouve à Paris où plusieurs personnes sont sur ses traces pour se venger de la mort d’un proche. Aussi rocambolesque que le premier roman, celui-ci est plus facile à lire car le style de l’auteur n’est plus une surprise.

Fourny, Yann. Dans la nuit arctique – La tragédie de l’expédition Ellesmere. Leméac, 2022

L’auteur, pilote dans le grand nord canadien, trouve le journal d’un explorateur. Le récit de cette expédition faite en 1908-1909 est détaillé et effroyable. Les défis auxquels doit faire face cette équipe de 10 hommes sont nombreux. Fourny traduit et retranscrit le journal et cherche des traces de sa véracité. La premère partie du texte est le compte-rendu de cette expédition et la deuxième détaille les recherches de l’auteur pour déterminer s’il s’agit d’un canular ou d’une réelle aventure. Il laisse cette réponse au lecteur.

Lafrance, Catherine. La saison froide. Éditions La Presse, 2011

Une jeune femme, déçue par une relation amoureuse, quitte Montréal et part pour Yellowknife refaire sa vie. Un nouvel emploi, de nouveaux amis, les saisons qui se vivent différemment, voilà ce qui l’attend. L’écriture singulière de Catherine Lafrance met en parallèle deux récits qui se chevauchent, le présent et un événement du passé. La vie de cette jeune femme est ainsi dévoilée à petites doses.


Lyne DesRuisseaux

Hooper, Emma. Les chants du large/ traduit par Carole Hanna. Alto, 2018

Un roman-fable d’une écrivaine et musicienne albertaine maintenant établie en Grande-Bretagne, où elle enseigne la musique. On y parle de mer vide de ses poissons et d’une petite collectivité de pêcheurs d’un village fictif d’une île de Terre-Neuve. Les pêcheurs quittent la communauté pour aller travailler en Alberta. La famille O’Connor résiste, ainsi que quelques personnages hauts en couleurs. La grande sœur, une adolescente, rêve d’ailleurs et le petit frère de 9 ans, Finn, rêve de faire revenir les poissons, pendant que les parents partent chaque mois en alternance en Alberta pour nourrir la famille. La chanson, la musique folklorique et les légendes de la région inspirent le jeune garçon, qui conçoit un projet fantaisiste pour attirer les poissons. La magie et l’innocence de Finn se combinent avec une description juste du sort de cette population confrontée à l’épuisement des ressources. Une auteure à découvrir.

Barbeau-Lavalette, Anaïs. Femme fleuve. Marchand de feuilles, 2022

Un livre magnifique sur le désir féminin. Une femme, mère et compagne de « son homme », s’installe quelques semaines dans une île de Saint-Laurent (qui ressemble à l’île Verte) pour y écrire. Elle vit une passion avec un peintre à la recherche du bleu parfait de l’eau. Une autofiction d’une grande poésie.

Barbeau-Lavalette, Anaïs. Femme forêt. Marchand de feuilles, 2021

La narratrice raconte la vie dans une maison en Estrie, où elle a des souvenirs d’enfance, avec sa famille et une famille amie. La tribu s’y est réfugiée pendant la pandémie, afin de fuir les confinements. Une autofiction qui explore la transmission des valeurs et des savoirs, les joies, bienfaits et mystères de la forêt, l’importance des liens familiaux, mais aussi de la plongée en soi-même. Les thèmes et le style de cette auteure me transportent. Anaïs Barbeau-Lavalette est pour moi l’écrivaine du lien et du beau.

Farhoud, Abla. Havre Saint-Pierre. VLB Éditeur, 2023

Dernier ouvrage de cette écrivaine décédée en 2021. Deux frères qui se connaissent très peu, l’un ayant grandi au Liban, l’autre à Havre Saint-Pierre avec leur mère, partent en pèlerinage vers cette ville de la Côte-Nord. Leur sœur y est morte cinquante ans auparavant, au tournant de la vingtaine. À tour de rôle, ils revisitent leur passé et questionnent leurs appartenances respectives. Une troisième section donne la parole à la jeune sœur, alors qu’elle approche de la mort. J’ai bien apprécié cette œuvre.


Daniel Ducharme

Archambault, Gilles. Les maladresses du cœur. Leméac, 1998

Mathieu Robin, un écrivain de cinquante ans. se penche sur son couple, tentant d'écrire un roman en hommage à sa compagne, Diane. La narration est assumée à tour de rôle par différents personnages (amie, éditeur, réviseur, compagne, etc.) qui tournent autour de l'écrivain. Un roman intéressant pour ses réflexions sur l'écriture, beaucoup moins pour celles sur l'amour (à mon avis).

Billy, Hélène de. Riopelle et moi : biographie et making of. Québec-Amérique, 2023

La vie de ce grand peintre qui, très tôt, a réussi sa vie d'artiste en vendant des toiles à des collectionneurs millionnaires. Bravo pour le peintre. En revanche, l'individu ne présente guère d'intérêt : entre deux séances de travail, il boit comme un trou, se balade en voiture de luxe, trompe sa femme, bat ses maîtresses et néglige ses enfants. Néanmoins, l'autrice justifie le tout au nom de l'Art avec un grand A. À d'autres...

Marois, André. Trois minutes de plus. Leméac Jeunesse, 2021

Un roman jeunesse qui raconte l'histoire de Nicolas, un ado de quatorze ans qui filme ses acrobaties pour les mettre sur YouTube. Avec son amie Florence, il refuse de recourir à la "Fonction", un dispositif qui permet à chaque individu, une fois dans sa vie, de revenir une minute en arrière après un événement. Un roman dans l'air du temps au style simple et direct. Certains aimeront, d'autres pas.

Roberts, Norma. Les dessous du crime (Lieutenant Eve Dallas 48) / traduit par Guillaume Le Pennec. J'ai Lu, 2020

Bien que l'autrice vende des millions de livres dans le monde, je n'ai pas cru une seconde au personnage d'Eve Dallas, ce lieutenant de la NYPD qui emmène son conjoint, un riche homme d'affaires, sur les lieux du crime. Et puis cette morale de "on fait ses choix", alors qu'on vit dans un milieu ultra favorisé, me dégoûte un peu. Je ne lirai pas les 47 premiers tomes de cette série.

Scarrow, Simon. Les Aigles de l'Empire. 2- La conquête de l'Aigle / trad. de l'anglais par Benoit Domis. Bragelonne, 2019

Le deuxième tome d'une série de romans historiques (qui en compte plus de vingt), aussi enlevants que passionnants, sur les légions romaines sous l'empereur Claude (-10 av. J.-C. à 54). On retrouve les trois héros, animés d'une amitié improbable : le centurion Macro et son opto, Cato, le légat Vespasien et son épouse Flavie, toujours accompagnée de son esclave Lavinia, dont Cato s'est amouraché, et qui connaîtra une fin tragique dans la foulée d'un attentat contre Claude. Nous sommes toujours en pleine campagne de Bretagne qui ne se déroule pas sans heurts. Un roman historique toujours aussi passionnant. Vivement le tome 3 !

Turconi, Julie. Le facteur : un récit de reconstruction. Robert Laffont Québec, 2023

Un ancien membre des Forces armées canadienne, de retour d'Afghanistan, travaille comme facteur à son retour dans la vie civile. Peu à peu, il tente de se reconstruire des souffrances qu'il a vues et vécues. Il noue relation avec une vieille dame, à qui il fait la lecture, ce qui constitue une aide précieuse dans son cheminement. Un roman aux valeurs bienveillantes propre à notre époque troublée. Il faut aimer.

Bandes dessinées

Appolo & Brüno. T'Zée, une tragédie africaine. Dargaud, 2022.

Une bédé de près de 160 pages sur un pays, qui rappelle le Congo, avec un dictateur, sa jeune épouse, son fils Hippolyte, et la destruction de ce pays d'Afrique centrale par des rebelles financés par on ne sait trop qui. Une bédé qui m'a rappelé le roman de l'auteur guinéen William Sassine, Le jeune homme de sable (1979), en raison de cette ambiance de fin de règne. Beau et terrifiant tout à la fois.

Agrimbau et Ippoliti. Planète Extra / traduit de l'espagnol (Argentine). Sarbacane, 2020

Le monde en 2095... Polluée, torride, sinistre. Un camionneur qui fait des déménagements, jonglant avec des manifestants d'une violence inouïe. Chacun cherche à se tirer sur Luna Base, mais les places sont limitées et le prix des billet ne sont pas à la portée de tout le monde. Des dessins magnifiques. Fasse le ciel que nous ne prenions pas cette direction...


Pierre Rivet

Bernhard, Thomas. Le naufragé. Gallimard/Folio, c1983, 2003

Une lecture idéale pour les vacances d’été, pensais-je. Je blague, évidemment, car on peut difficilement trouver lecture plus déprimante. Je ne vous ferai pas le résumé, je vais plutôt vous renvoyer à celui de Daniel, qui est excellent. Pour ma part, j’avais été attiré par le nom de Glenn Gould (j’ai presque tout lu à son sujet) et la réputation de Thomas Bernhard. Bon, Glenn Gould est accessoire dans ce roman, tout comme la musique d’ailleurs. J’ai trouvé le style lourd, répétitif, on ne sait pas trop où l’auteur s’en va, même à la toute fin. On referme le livre, content d’avoir terminé, en se disant « ah bon ». En prime cela vous décourage à tout jamais d’aller vous promener en Autriche ! Tout de même quelques bonnes pages de réflexions, mais à quel prix !

Crary, Jonathan. 24/7 : Le capitalisme à l’assaut du sommeil. La Découverte/Poche, 2016

J’ai décidé de ne pas me casser la tête et de vous copier la quatrième de couverture : « Aux États-Unis, la recherche militaire s'intéresse de près à un oiseau migrateur, le bruant à gorge blanche. Sa particularité : pouvoir voler plusieurs jours d'affilée sans dormir. Les scientifiques qui l'étudient rêvent de façonner, demain, des soldats insomniaques, mais aussi, après-demain, des travailleurs et des consommateurs sans sommeil... « Open 24/7 » - 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 -, tel est le mot d'ordre du capitalisme contemporain. C'est l'idéal d'une vie sans pause, active à toute heure du jour et de la nuit, dans une sorte d'état d'insomnie globale.. Si personne ne peut réellement travailler, consommer, jouer, bloguer ou chater en continu 24 heures sur 24, aucun moment de la vie n'est plus désormais exempt de telles sollicitations. Cet état continuel de frénésie connectée érode la trame de la vie quotidienne et, avec elle, les conditions de l'action politique... Dans cet essai brillant et accessible, Jonathan Crary combine références philosophiques, analyses de films ou d'oeuvres d'art, pour faire un éloge paradoxal du sommeil et du rêve, subversifs dans leurs capacités d'arrachement à un présent englué dans des routines accélérées... » Cela résume très bien le livre, mais je mettrais un bémol à « essai brillant et accessible », brillant sans doute par moment, mais pas toujours, accessible cela se discute. Moins sociologique et/ou politique que je ne l’aurais cru, cet essai, écrit par un critique d’art, professeur d’art moderne, adopte le langage souvent abscons de cette discipline. Intéressant mais pas essentiel. Je dirais que lire le résumé de quatrième de couverture est suffisant.

Legault, Louise. Ce qu’on cache aux enfants : Montréal au début du vingtième siècle. ÉLP éditeur, 2023

En suivant à travers les journaux, et son dossier de policier, la vie mouvementée de son grand-père, le capitaine de police Louis de Gonzague Savard, la journaliste Louise Legault fait revivre le Montréal du début du 20e siècle, à la fois la tête de pont de l’Amérique du Nord britannique, la plus grande concentration industrielle au Canada, et le siège social des grands de la finance. Mais aussi une ville « ouverte », où l’on pouvait assouvir tous ses désirs : alcool, prostitution, jeu, spectacles de tous acabits. Des maisons closes du Red Light et des fumeries du Chinatown aux « banlieues » industrielles d'alors, du port de Montréal à la fastueuse rue Saint-Jacques, c'est une ville grouillante et anarchique, un brin crasseuse, que découvrira le lecteur. Et c’est cette découverte qui m’importe surtout, même si la vie du capitaine Savard n’est pas dépourvue d’intérêt. Une visite des quartiers de Montréal au début du 20e siècle, avec une perspective historique qui plonge un peu dans le passé, nous donne une image réaliste et assez intéressante de notre ville. Une lecture agréable, pas compliquée, à lire sans se prendre la tête.

Louvrier, Pascal. Philippe Sollers entre les lignes. Le Passeur éditeur, 2024.

Reprise, après sa mort en 2023, d’un essai sur Philippe Sollers écrit en 1996. Le texte à été repris, corrigé, allégé et augmenté d’une cinquantaine de pages. Comme vous le savez sans doute, ou pas, Philippe Sollers est décédé le 5 mai 2023 à l’âge de 86 ans. Ce livre est un « essai » sur la vie et l’oeuvre de l’écrivain, et je dis bien un « essai » et non une biographie ou une étude de l’oeuvre. Écrit sous une forme un peu romancé, Pascal Louvrier nous narre ses rencontres avec le personnage Sollers, car Sollers, de son vrai nom Philippe Joyaux (ça ne s’invente pas) a fait de sa vie un roman dont il est le principal personnage (d’ailleurs, le titre de ses mémoires est « Un vrai roman »). Et de ses rencontres, il nous tisse tranquillement la vie et l’évolution de l’auteur à la fois au niveau intellectuel et stylistique. Bon, je m’arrête là car je ne veux pas tenter de vous « vendre » Sollers. Se vendre a toujours été à la fois sa principale qualité et son plus grand défaut, car il fut l’un des écrivains le plus médiatisé de France (ce qui n’est pas peu dire dans un pays où la culture de l’ego est élevé au rang d’art national). Sollers, on aime ou on déteste (et généralement pour les mêmes raisons). Pour ma part, j’avoue que j’aime cet auteur narcissique mais léger, ce passionné de culture, qui a tout lu, tout vu, tout entendu, et en plus a tout compris, mais je ne saurais vous dire pourquoi. Sollers c’est le goût pour le bonheur, la musique de Mozart et Haydn, le 18e siècle dans le monde moderne. J’ai tout lu de Sollers à partir de Femmes et, maintenant, qu’il est mort, il me reste à le relire.

Sollers, Philippe. La deuxième vie / postface de Julia Kristeva. Gallimard, 2024

Dernier « roman » de Sollers, qu’il a littéralement dicté sur son lit de mort, et qu’il n’a pas pu corriger et réviser avant de trépasser. Pas son meilleur, il faut l’excuser, ce n’était pas la grande forme, mais sûrement le plus court, et d’une sérénité et d’une légèreté surprenante pour un moribond !

Et toujours la lecture du Journal 1922-1989 de Michel Leiris ; j'en suis à l'année 1961.


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