Lectures croisées : août 2024
Sylvie Bellemare, Lyne DesRuisseaux, Pierre Rivet & Daniel Ducharme | Lectures croisées | 2024-09-01
Sylvie Bellemare
Lafrance, Catherine. Le dernier souffle est le plus lourd. Éditions Druide, 2023
Catherine Lafrance a été journaliste. Une de ses séries met en scène Michel Duquesne, journaliste d’enquête. Au journal, il se bute à un patron qui ne partage pas ses ambitions et ne réussit pas à dénicher des sujets de reportage. Un suicide dans le métro un jour de tempête de neige le mène sur une piste qui relie compagnie pharmaceutique et politiciens verreux. Dans ce 2e tome de la série, la vie privée de Michel Duquesne prend autant de place que sa vie professionnelle. L’intrigue est bien menée, on sent la tension dans l’mportance de devancer la concurrence. Par contre, je me questionne toujours sur ce rôle des journalistes d’enquête qui veulent « protéger le public ». Jusqu’où doivent-ils ou peuvent-ils aller pour dénicher une bonne histoire ?
Prose, Nita. La femme de chambre / trad. de l’anglais par Estelle Roudet. Calmann-Lévy, 2022
Molly est une jeune femme « différente ». Elle ne comprend pas les codes sociaux. Elle ne sait plus à qui demander conseil depuis que sa grand-mère, qui l’a élevée, est morte. Maniaque du ménage, elle se donne corps et âme à son travail de femme de chambre dans un chic hôtel. Elle découvre un homme mort dans une des suites de l’hôtel et est alors, bien malgré elle, entraînéee dans une histoire de trafic de drogues. Le récit contient de l’humour, surtout avec les maladresses de Molly. Une lecture divertissante.
Prose, Nita. L’invité mystère / trad. de l’anglais par Estelle Roudet. Calmann-Lévy, 2023
Dans ce 2e tome, un homme meurt dans l’hôtel où travalle Molly. Elle participe à l’enquête et aide l’inspectrice responsable à trouver le coupable. Des retours dans le passé de Molly aide à comprendre comment elle est différente des autres enfants et permet d’apprécier sa personnalité.
Shimazaki, Aki. Sémi. Actes Sud, 2021
Originaire du Japon, Aki Shimazaki vit à Montréal et écrit en français. Un couple âgé vit dans une résidence et y sont heureux. La femme est atteinte d'Alzheimer et les souvenirs de son passé ébranlent le mari. Une écriture simple, directe, descriptive de la vie ordinaire de ce couple. Quelques répétitions me semblent pas nécessaires dans ce livre d’une centaine de pages.
Lyne DesRuisseaux
Leblanc, Perrine. Malabourg. Gallimard, 2014
Ce roman est divisé en deux temps. La première partie, plus longue, raconte la disparition de trois jeunes femmes dans un village fictif isolé et pauvre de la Baie-des-Chaleurs et la réaction des habitants. Deux personnages amis, qui connaissaient les victimes, quittent plus tard le village pour réaliser leurs rêves de jeunes adultes, elle à Montréal, lui en France pour faire une formation de parfumeur. La deuxième partie raconte leurs retrouvailles et l’évolution de leur relation. Je me suis rendue au bout du roman, mais j’ai nettement préféré « Gens du Nord » et « L’homme blanc » de cette même auteure. Comme s’il y avait deux romans un peu incomplets en un seul. Bien aimé tout le volet « parfumeur ».
Saucier, Jocelyne. À train perdu. XYZ, 2020
C’est l’histoire de Gladys, une femme âgée de Swatiska, en Ontario, qui quitte sans avertir sa maison et sa fille pour prendre le train. Le narrateur, un amoureux des trains, part à sa suite, aidé pour tous les proches de cette femme de nature joyeuse, qui l’ont hébergé le long de son errance. S’ensuit un récit de la vie de Gladys, marquée par le « touk-e-touk » des trains qui ont rythmé l’histoire des populations isolées du nord de l’Ontario. Cette enquête sur les motivations de Gladys est aussi un bel hommage à l’amitié et à l’entraide, mais aussi au monde disparu des trains qui desservaient les régions isolées. Un autre beau roman de l’autrice d’« Il pleuvait des oiseaux ».
Daniel Ducharme
Asimov, Isaac. Fondation (Le cycle de Fondation 1) / traduit par Pierre Billion. Gallimard, c1951, 2015
J'ai lu les quatorze premiers tomes des œuvres complètes d'Asimov et, au moment où je débute le cycle le plus important de cet auteur, voilà que je décroche... Fondation, le premier de la série écrit en 1951 (donc avant les tomes 1 et 2 qui ont été rédigés par la suite et que j'ai bien appréciés), se subdivise en cinq parties qui m'apparaissent comme décousues, sans héros unique, et dont la chronologie s'avère difficile à comprendre. Bref, je n'ai pas embarqué dans cette histoire... Dire qu'il ne me restait que quatre ouvrages à lire pour avoir tout lu Asimov ! Je reprendrai peut-être d'ici quelques mois.
Scarrow, Simon. Les Aigles de l'Empire. 3- La traque de l'Aigle / trad. de l'anglais par Benoit Domis. Bragelonne, 2020
Le troisième tome d'une série de romans historiques (qui en compte plus de vingt), aussi enlevants que passionnants, sur les légions romaines sous l'empereur Claude (-10 av. J.-C. à 54). On retrouve les trois héros: le centurion Macro et son opto, Cato, le légat Vespasien. S'ajoutent Boadicée et son compagnon, des Atrébates, qui aideront nos héros à conquérir le royaume des Durotriges, dirigé par des druides sanguinaires, et ce pour récupérer des otages, la femme et les deux enfants du général romain. Passionnant, comme les deux premiers tomes.
Scarrow, Simon. Les Aigles de l'Empire. 4- l'Aigle et les loups / trad. de l'anglais par Benoit Domis. Bragelonne, 2021
Dans ce quatrième tome d'une série de romans historiques sur les légions romains du temps de l'empereur Claude (-10 av. J.-C. à 54), on retrouve les trois héros: les centurion Macro et Cato et, à la fin du récit, le légat Vespasien. Dans ce roman, nos héros tentent de défendre le royaume des Atrébates au prise avec les attaques incessantes des Durotriges. L'auteur a le sens de l'intrigue : c'est aussi passionnant que les trois tomes précédents.
Bernard Schlink. La petite fille / traduit de l'allemand par Bernard Lortholary. Gallimard, 2023
Un beau roman qui raconte l'histoire d'un vieil homme qui s'attache à la petite fille de sa femme décédée. Sauf que la petite fille en question vit dans une commune identitaire de l'ex RDA, un milieu sympathique à l'idéologie nazie. Mais Kaspar, libraire à Berlin-Ouest, s'attache à Sigrun. Pour la voir, il invente un testament par lequel il lègue une partie des biens de sa femme à sa fille (Svenya), à la condition de passer du temps avec sa "petite fille". Et c'est cette relation que l'auteur décrit avec brio. Comment s'arracher à son milieu ? Comment parvient-on à vivre en ne suivant pas la voie tracée par les parents ? Lisez ce roman pour le savoir.
Walters, Minette. Cuisine sanglante / trad. de l'anglais par Philippe Bonnet. Stock, 1994
Une jeune femme, Olive Martin, a dépecé sa mère et sa sœur à coup de hache. À son procès, elle n'a pas voulu d'avocats, préférant se défendre elle-même et garder le silence. Cela lui a valu vingt-cinq ans de prison. Une journaliste à la dérive, Roselind Leigh, reçoit le mandat de son éditeur d'écrire un ouvrage sur ce cas. Elle débute une enquête riche en rencontres à la découverte de la vérité. Un bon roman policier qui plonge au cœur de l'humain. Franchement, ce n'est pas du Connelly, mais j'ai aimé.
Bandes dessinées
Davodeau, Étienne. Chute de vélo. Dupuis (Air Libre), 2004
Une très belle histoire familiale, même si au départ j'ai eu du mal à distinguer qui est qui... Une maison familiale, un maçon qui pleure sa femme, un ami de la famille responsable d'une chute de vélo, des enfants. On est vraiment dans un roman... graphique !
Pierre Rivet
Auster, Paul. Pays de sang. Une histoire de la violence par arme à feu aux États-Unis / photographies de Spencer Ostrander. Actes Sud, 2023
À partir de son expérience et de sa connaissance de la société américaine (autant de son histoire que de ses mythes), l’écrivain Paul Auster nous brosse un portrait de la violence par arme à feu aux États-Unis. Cela va, évidemment, du mythe du Far-West à la Constitution américaine, en passant par les gangsters de la Prohibition aux tueries de masse. Pour accompagner son texte, les photographies de Spender Ostrander des lieux des différentes tueries de masse, en noir et blanc, et sans aucune présence humaine, ajoute une touche glaçante à l’ensemble.
Collectif. Ce qui nous lie. L’indépendance pour l’environnement et nos cultures. / Avant-propos de Natasha Canapé Fontaine. Écosociété, 2021.
Ce petit livre est paru juste avant les élections québécoises de 2022, et avait, pour Québec Solidaire, sûrement des fins électorales. À voir les résultats de l’élection, on peut en déduire que ce livre n’a pas atteint le but pour lequel il a été écrit. Le livre regroupe des textes de plusieurs député(e)s de QS (Alexandre Leduc, Vincent Marissal, Sol Zanetti, etc.), et porte sur les raisons de faire l’indépendance du Québec, après la tenue d’une Constituante, et une alliance avec les différents peuples ou nations (c’est pas clair) autochtones, afin de sortir d’un Canada colonialiste et extractiviste. On ne peut qu’applaudir aux propositions tout en sachant qu’elles sont un beau florilège de pensées magiques. Un mélange entre une émission de Passe-Partout et un programme électoral.
Collectif. Ce qui nous délie. Une critique du projet de pays de Québec Solidaire. Les éditions du Renouveau Québécois, 2022.
J’ai lu ce livre juste après Ce qui nous lie. Il est écrit, sous la supervision de Pierre Leduc, par plusieurs collaborateurs du journal L’Aut’Journal (journal pro-indépendantiste, syndicaliste, socialiste, fondé en 1984, mais qui n’a jamais eu une grande portée populaire, à vrai dire, il n’a jamais eu une grande portée point.). Ce livre réagit au livre de Québec-Solidaire en critiquant assez vertement ce dernier. J’ai hésité à le lire car je sais qu’il n’y a pas pire ennemi de la gauche…que la gauche. Si je trouve que certains textes (surtout le premier, de Pierre Leduc, en fait) exagèrent un peu le côté « anti-francophone » du livre de QS (en visant particulièrement le texte de Ruba Ghazal) et, d'après moi, tombe dans une espèce de paranoïa identitaire, je dois cependant admettre que la plupart des textes apportent une critique assez pertinente des faiblesses de l’argumentation du livre de QS, en ce qui concerne entre autres le côté presque magique d’une Constituante, et d’une alliance, qui semble si évidente, avec les Premiers Peuples. En fait, je crois qu’il faut lire les deux ensembles, pour ceux que cela intéressent, mais je ne crois pas qu’ils soient nombreux… J’espère, mais je doute beaucoup, que les auteurs de Ce qui nous lie, aient lu Ce qui nous délie. Pour terminer, disons que les auteurs du second n’amènent malheureusement guère de propositions pour aboutir quelques part.
Enzensberger, Hans Magnus. Tumulte. Gallimard, 2018.
L’écrivain allemand Hans Magnus Enzensberger (1929-2022) revient sur ses séjours en URSS, à Cuba, et aux États-Unis dans les années 60-70, et nous présente une vision très personnelle de la société, allemande entre autres, de ces années de tumulte. Ce parcours autobiographique est mené de façon très originale, avec de fréquents allers-retours entre le passé et le présent, et l’intervention du « lui » d’aujourd’hui discutant avec le « lui » d’hier. J’ai bien aimé.
Gravel, François. Prendre la mort comme elle vient. Éditions Druide/Relief, 2024
Prendre la mort comme elle vient sans se prendre la tête. C’est ce que fait ici François Gravel, ex-prof d’économie à l’UQAM, mais surtout connu comme romancier, particulièrement prolifique au niveau de la littérature jeunesse. Un ensemble de textes sur le thème de la grande faucheuse, parfois ironique, parfois plus dramatique, mais toujours un peu léger. Prendre la mort comme elle vient, car on ne sait jamais quand elle viendra justement.
Leiris, Michel. Journal 1922-1989 / Nouvelle édition mise à jour, établie, présentée et annotée par Jean Jamin. Gallimard, c1992, 2021. 1051 pages.
J’ai enfin terminé le journal de Michel Leiris après plusieurs mois de lecture ! Je dit enfin, mais ce n’est pas un « enfin » de soulagement car c’était loin d’être une corvée. J’ai apprécié chaque page que j’ai lue de cette traversée du XXème siècle, Leiris étant né en 1901 (il avait donc 17 ans à la fin de la Première Guerre Mondiale) et décédé en 1990 (pas longtemps après la chute du mur de Berlin) et, en terminant, j’avais l’impression de quitter un ami. Curieux personnage que ce Michel Leiris. Des études guère brillantes, entre autres en chimie, qu’il ne termine pas, mais cela ne l’empêche pas de fréquenter à peu près tout ce que le XXème siècle a produit d’artistes et d’intellectuels (les surréalistes, les existentialistes, Picasso, Giacometti, Francis Bacon, des écrivains, et beaucoup d’ethnographes), d’être un des fondateurs du Musée de l’Homme et un africaniste reconnu. Il fut de tout les combats que la gauche a porté, résistant (même si mollement) pendant l’Occupation, anticolonialiste, antiraciste, contre la guerre d’Algérie, mais ne se définit pas lui-même comme quelqu’un d’engagé, ni vraiment comme intellectuel, peut-être comme écrivain mais, là encore, sur la pointe des pieds, je dirais. Même s'il fut poète, essayiste, critique d’art, grand amateur d’opéra, c’est son engagement total dans ses écrits autobiographiques qui ont fait sa renommée. Avec « L’âge d’homme », « La règle du jeu » (qui comprend quatre volumes), son journal écrit pendant soixante-sept ans, et même son livre « L’Afrique fantôme », qui se situe entre l’ethnographie et l’autobiographie, jamais personne n’avait poussé aussi loin l’auto-analyse de soi, avec une telle franchise et une si grande lucidité. Il écrivait, en 1977, donc à 76 ans : « Si j’étais capable de m’accorder avec ce qu’à été ma vie, je serais peut-être plus capable de m’accorder avec ce que sera ma mort. ». J’aurai souvent l’occasion de revenir sur Michel Leiris car je lirai sûrement plusieurs autres livres de lui, dont « La règle du jeu », car j’ai déjà acheté les quatre tomes...
Makine, Andreï. La musique d’une vie. Seuil, 2002.
Très court roman où le personnage principal est un jeune pianiste russe qui, la veille de son premier concert public, doit prendre la fuite, tout juste avant le début de la guerre contre l’Allemagne nazie, pour échapper à une purge stalinienne. Nous suivons les péripéties de sa vie jusqu’à son retour à Moscou alors qu'il est âgé. Bien écrit, cela se lit facilement et… rapidement.
Saunier, Alain. ICI était Radio-Canada. Boréal, 2014.
Journaliste puis directeur général de l’information pour la section francophone de Radio-Canada, Alain Saunier fut congédié en 2012, lors du gouvernement conservateur de Stephen Harper. On pourrait penser que ce livre a été écrit afin que l’auteur puisse régler ses comptes, et ce n’est pas faux, mais il le fait d’une manière très professionnelle en revenant sur l’histoire de la Société Radio-Canada, particulièrement la section francophone. On en apprend beaucoup sur les différents mandats de cette société (autant pour le secteur anglophone que francophone) au gré des différents gouvernements qui jalonneront sont histoire, ainsi que sur ses rapports avec le pouvoir en place. Cette histoire insiste surtout sur le secteur de l’information puisque c’est le secteur que l’auteur connaît le mieux, mais il aborde aussi le secteur culturel et divertissement, juste assez pour nous donner envie d’en savoir plus…
Turcotte, Élise. Autoportrait d’une autre. Alto, 2023.
Poétesse, romancière, Élise Turcotte aborde ici un genre particulier : l’autoportrait. Mais en fait l’autoportrait d’une autre, sa tante (soeur de sa mère), Denise Brosseau. Comédienne, conjointe et égérie d’Alejandro Jodorowski, conjointe du peintre mexicain Fernando Garcia Ponte, amante de Gaston Miron, autant de dénominations qui passent à côté de l’essentiel, de l’essence d’elle. Qui était Denise Brosseau et, aussi, qui est Élise Turcotte. Qui sont ces femmes qui sont plus qualifiées que nommées ? Des fois, on ne sait guère où va l’autrice (ou l’auteure, comme vous voudrez), mais on veut y aller avec elle, et découvrir ce qui se cache derrière ces effacées vives.
Wolff, Francis. Le monde à la première personne. Entretiens avec André Comte-Sponville. Fayard, 2021.
Des entretiens d’André Comte-Sponville avec un philosophe dont je n’avais jamais entendu parlé, Francis Wolff. Plusieurs livres publiés, il a enseigné au Brésil et il a une grosse moustache sur sa photo de Wikipédia. Il est beaucoup question de sa formation, évidemment, du sort de sa famille (juive) durant la période nazie, et des questions traditionnelles de la philosophie : Qu’est-ce que le temps ? Pourquoi y a t-il quelque chose plutôt que rien ? Intéressant car il simplifie (pour autant que cela soit possible) des questions de nature irrésolubles. Je crois que Daniel aimerait. Moi, cela m’a donné le goût de jeter un oeil sur certains de ses livres (particulièrement Dire le monde et Plaidoyer pour l’universel, et cela m’a aussi conforté dans l’idée que la philosophie était née à une époque où d’autres personnes (esclaves ou autres) pouvaient travailler et ainsi « libérer » une caste privilégiée afin qu’elle réfléchisse à des problèmes qui ne préoccupait pas la majorité de la population, trop occupée à survivre. Je crois que cela n’a guère changé, et que quand on se fait bombarder, on ne se demande guère quel est le sens de la vie. Je crois aussi que la plupart des problèmes métaphysiques s’articulent sur des jeux de langages, et qu’il y a donc un chemin tout tracé entre la métaphysique et la philosophie analytique.