Lectures croisées : octobre 2024
Sylvie Bellemare, Lyne Des Ruisseaux, Pierre Rivet & Daniel Ducharme | Lectures croisées | 2024-11-01
Sylvie Bellemare
L'Hérault, Mélanie. Le feu et la brindille. Saint-Jean éditeur, 2024
Jolène et Jean-Sébastien forment un couple et sont tous les deux comédiens professionnels. Lui est connu pour ses rôles à la télévision et elle pour ceux au théâtre. Quand Jean-Sébastien est accusé d’agression sexuelle, la relation tourne au vinaigre et la vraie nature de l’homme apparaît. Le texte alterne entre les années 2000 avec le récit de l’adolescence de Jolène et les années 2020, celles des événements. Un roman correct qui ne m’a pas vraiment emballée.
Poirier, Yves D. Le scénariste. Fides, 2023
À plus de 70 ans, un scénariste célèbre a perdu sa fortune aux mains d’un escroc. Il se trouve en manque d’inspiration après la mort de sa femme. Il habite une grande maison qu’il décide ce mettre en vente. Quand une femme dans la cinquantaine sonne à sa porte, il est persuadé de se retrouver face à la réincarnation de sa femme. Son imagination part en grande et lui donne une idée pour un nouveau scénario. Entre réalité et fiction et truffée de références cinématographiques, cette histoire se lit comme… un bon scénario!!!
Poirier, Yves D. Le profileur. Fides, 2024
Dans ce 2e tome, le scénariste est embauché comme profileur par un jeune policier. Le mandat, cerner un tueur en série qui tue des femmes enceintes de 6 mois. Ici encore, le scénariste trouve matière à écrire et son imagination est fortement stimulé. Un récit bien mené qui réserve quelques surprises.
Pulixi, Piergiorgio. L’île des âmes / traduit par Anatole Pons-Reumaux. Gallmeister, 2022
Ce roman policier se déroule en Sardaigne. Une policière sarde au caractère bien trempé doit faire équipe avec une nouvelle venue, une policière qui arrive sur l’île après avoir vécu un drame. Elles doivent résoudre des meurtres de jeunes filles qui datent de plusieurs décennies. Quand un autre meurtre survient, l’enquête prend un nouveau souffle. Un récit dans lequel les rituels ancestraux sont décrits et qui fait une grande place à la Sardaigne et à la beauté de ses paysages. Une lecture parfois exigeante par ses longues explications, mais captivante avec ses nombreux rebondissements.
Shimazaki, Aki. Tsubaki. Leméac Actes Sud, 1999 | Hamaguri. Leméac/Actes Sud, 2000 | Tsubame. Leméac/Actes Sud, 2001 | Wasurenagusa. Leméac/Actes Sud, 2002 | Hotaru. Leméac/Actes Sud, 2005
Dans cette pentalogie, Aki Shimazaki présente trois générations de deux familles qui vivent au Japon dans les années de guerre. Certains membres de ces familles survivent à la bombe atomique et à un tremblement de terre. Ici encore, ces courts romans présentent la même histoire vue par différents protagonistes. Aki Shimazaki sait raconter et les intrigues se dévoilent sous un nouvel angle dans chaque livre.
Tuti, Ilaria. Sur le toit de l’enfer / traduit par Johan-Frederik Hel Guedj. Robert Laffont, 2018
Un jeune inspecteur se joint à l’équipe de la commaissaire Teresa Battaglia, la soixantaine, spécialiste du profilage. Ils doivent résoudre une série de meurtres qui se déroule dans les montagnes du Frioul, en Italie. Dans ce territoire hostile, les recherches sont difficiles et les habitants d’un village n’aident pas les enquêteurs. Une écriture haletante sur une histoire en plusieurs volets. J’avais de la difficulté à laisser cette lecture au dénouement troublant.
Lyne Des Ruisseaux
Scali, Dominique. Les marins ne savent pas nager. La Peuplade, 2022
Une brique de 709 pages. Un roman un peu fantastique qui se déroule sur l’île rocheuse fictive d’Ys, sise au milieu de l’Atlantique Nord, au 18e siècle. Deux classes sociales y vivent : les puissants « citoyens » vivant en haut de l’île dans une ville fortifiée qui les protège des Grandes marées d’équinoxe, lesquelles balaient tout sur leur passage, et les « riverains », miséreux qui vivent de ce qu’ils recueillent des épaves échouées, fuient du mieux qu’ils peuvent les marées d’équinoxe et reconstruisent perpétuellement les dommages qu’elles infligent aux rives. Périodiquement, les riverains tentent de devenir citoyens en démontrant leurs qualités et exploits lors des « Grandes rotations ». Danaé, dite Poussin, est la seule habitante de l’île qui possède le don de savoir nager. On la suit, pendant une quarantaine d’années, où elle change de statut au gré de ses rencontres et de ses amours. Un très beau roman d’aventures maritimes, riche d’un vocabulaire spécialisé et ancien, qui porte un regard aiguisé sur les travers des sociétés méritocratiques dominées par les hommes.
Ditlevsen, Tove. Enfance. La trilogie de Copenhague - 1. Éditions Globe, 2023
Premier tome de l’autobiographie de cette grande poète danoise, publié en 1967. Cette œuvre est redécouverte en français dans le sillon de la popularité du courant de l’autofiction. On y suit la jeune élève du primaire, qui grandit dans un quartier miséreux, avec une mère caractérielle et un père ouvrier rieur, souvent chômeur et profondément socialiste. Elle écrit des poèmes et se sent étrangère à son milieu, en profond rejet du seul avenir qui s’offre à elle : cesser les études à 14 ans pour travailler, éviter de tomber enceinte avant 18 ans, se marier à un artisan non alcoolique et avoir des enfants. Elle se protège par l’écriture, tout en sachant qu’on ne peut « échapper à son enfance ». Tove Ditlevsen, considérée comme une des plus grandes écrivaines danoises, s’est suicidée à 53 ans, après des années de drames et de dépendances, malgré ses succès littéraires.
Daniel Ducharme
McEwan, Ian. Leçons / traduit de l'anglais par France Camus-Pichon. Gallimard, 2023
La vie de Roland Baines, un boomer anglais racontée de façon non linéaire. Une plume magistrale qui nous fait sentir la vie d'un bout à l'autre, jusqu'à l'instant sublime où tout s'arrête. Pourquoi Leçons? Parce que le jeune Baines, à quatorze ans, a vécu une relation avec sa professeure de piano, Miriam Cornell, et cela l'a suivi toute sa vie durant. Il faut lire pour comprendre.
Vernes, Henri Vernes. Bob Morane 22 - Les Démons Des Cataractes, 1957
Bob Morane est de retour en Afrique centrale pour notre plus grand plaisir. Entre les lignes, on sent que la colonisation tire à sa fin, même si les moyens pour y parvenir ne semblent guère prometteuses. Un bon Bob Morane qui nous fait un peu oublié le médiocre 21e, Échec à la main noire.
Werber, Bernard. Nouvelle encyclopédie du savoir relatif et absolu. Albin-Michel, 2009
Plus de 300 concepts, sérieux et moins sérieux, sur lesquels l'auteur des "Fourmis" s'épanche... Amusant, sans plus. Ça me rappelle certains textes de la catégorie "mots" de mon site Web (sans me vanter et sans vouloir me comparer...)
Pierre Rivet
Ducharme, Daniel. Parfois je mange debout dans la cuisine / nouvelles. ÉLP éditeur, 2024
Difficile de parler du livre d’un auteur que l’on connait et dont on prétend, à bon droit, être un ami. Alors je ne prendrai pas de gants et je n’irai pas par quatre chemins: j’ai détesté… le fait qu’il soit terminé lorsque j’ai tourné la dernière page. J’en aurais pris encore, mais après avoir pris ma dose d’antidépresseur car, disons le, comparer à Daniel, moi qui me croyais un être tourmenté, enclin aux tourments existentiels, je parais au contraire plutôt « hop la joie » ! Peines d’amour, mortalité, amis disparus, aléas de la vie quotidienne, le regard de Daniel est vif et pénétrant, doux et amer, toujours enclin à la dérision et même à l’autodérision. Et surtout, et c’est pourquoi la pratique de l’écriture presque quotidienne est payante à long terme, il a un style, une « voix » que l’on reconnaît tout de suite et qui est inimitable. Je persiste à dire qu’il y a, entre Daniel Ducharme et Gilles Archambault, une certaine parenté de caractère.
Fournier, Claude. À force de vivre. Libre Expression, 2009
Né en 1931 et décédé en 2023 à l’âge de 91 ans, Claude Fournier fut écrivain, journaliste, scénariste, réalisateur, directeur de la photographie, monteur, producteur et compositeur. Surtout connu comme cinéaste, particulièrement du film Deux femmes en or, il a débuté sa carrière au cinéma surtout dans le film documentaire. Cette autobiographie brosse un portrait assez intéressant du Québec des années 30, 40, 50, (qui n’étaient pas nécessairement la « grande noirceur ») 60 et 70 (ça continue évidemment avec les années 80, 90 et 2000, mais c’est moins intéressant. J’ai particulièrement aimé le début du livre où Claude Fournier raconte son enfance à Waterloo en Estrie, avec tellement de détails qu’on se dit, soit qu’il en invente, soit qu’il a une mémoire formidable. Et cette abondance de détails continu en fait tout au long du livre, des fois pour le mieux (pour le panorama sur la vie culturelle du Québec), des fois pour le pire (l’auteur à tendance à se complaire à raconter sa vie amoureuse et sexuelle, assez intense !). Dans l’ensemble j’ai aimé, même si je dois avoué avoir passé assez rapidement le dernier tiers du livre, et avoir été irrité parfois par la personnalité de Claude Fournier et son évident amour de lui-même…
Lambert, Vincent. Introduction à la vie sans fin. Boréal/Papiers Collés, 2023
Vincent Lambert, né en 1980, est écrivain, poète, (enlever la virgule) et professeur de littérature au Cégep de Limoilou. Ce livre est en fait un recueil de textes écrits pour les revues L’Inconvénient et Contre-jour. Les textes sont très diversifiés, souvent philosophiques, parfois poétiques, pas simples à comprendre mais qui amènent souvent des réflexions intéressantes. Pour amateur/amatrice de textes « songés ».
Monod, Jean-Claude. La Raison et la Colère. Un hommage philosophico-politique à Jacques Bouveresse. Seuil, 2022
Ce livre est un hommage au philosophe Jacques Bouveresse, décédé en 2021 à l’âge de 80 ans, écrit par Jean-Claude Monod, philosophe et cinéaste, ancien étudiant, puis ami, de Jacques Bouveresse. Alternant entre la Raison qui amène Bouveresse à s’intéresser à la philosophie des sciences (influencé par des philosophes comme Jean Cavaillès et Georges Canguilhem), puis à la philosophie analytique, dans la lignée de Wittgenstein, Bertrand Russel, le Cercle de Vienne, etc., et la Colère par son engagement politique à gauche et son étude du polémiste Karl Krauss. Il n’a pas hésité à critiquer certains intellectuels et courants philosophiques en vogue, et s’est beaucoup intéressé à la pensée de Robert Musil, l’auteur de L'homme sans qualité.
Simard, Alain. Je rêvais d’un festival. Les éditions La Presse, 2024.
Encore une autobiographie ! Dans le style de celle de Claude Fournier, mais en beaucoup moins long (celle de Fournier avait un bon 700 pages !). Au départ j’avais emprunté ce livre à BAnQ parce que je m’intéresse énormément au jazz… et que j’aime bien les potins et anecdotes (mon côté mémère, ou plutôt pépère). Mais, à ma grande surprise, il n’est pas tant question de jazz, du moins pendant les deux premiers tiers du livre, mais de la vie dans les années 50, 60, puis 70. Les collèges classiques, la vie musicale, les spectacles, mais pas n’importe quelle vie musicale ! La vie musicale dans le monde des hippies, et de la musique « underground », du Québec et d’ailleurs. Avant même d’avoir vingt ans, Alain Simard organise plein de concerts dans des collèges (puis des cégeps), ouvre des salles de spectacles, habite des communes. Un portrait intéressant de la vie dans le monde de la contre-culture des années 60-70, au Québec… et ailleurs. Il est un des premiers à faire connaître au Québec des groupes obscures comme Genesis, Pink Floyd, Procol Harum, Gentle Giant, il est l’ami de Peter Hammil, Phil Collins, il assiste aux premiers pas de Beau Dommage, d’Harmonium, etc. Après les années 80 ça devient un peu moins intéressant et ça ressemble plus à une pub promotionnelle pour son agence de production. Ah oui ! Il a aussi réussi à faire son Festival de jazz dont il rêve depuis le début…